Des White Stripes à Coldplay en passant par… Patrick Zabé, les charts pop- rock ont souvent été mis à contribution par les supporters. De fait: les chants de stade, émouvants ou primaires, font partie de la mythologie du football.

A Bruges, fais comme les Brugeois… L’adage, un peu remodelé pour la circonstance, date de février 2006. Ce soir-là, l’AS Rome et son beau gosse de capitaine viennent faire les poches aux Blauw en Zwart. Alors que Totti et sa bande ramènent de la Venise du Nord une sérieuse option sur les 8ièmes de finale de la Coupe UEFA, leurs supporters, transformés en buvards vivants, chipent au kop brugeois un air martelé tout au long du match: le « po po po po po po » sur le refrain de l’imparable Seven Nation Army des White Stripes, traverse les frontières pour contaminer l’Europe entière. Pas sûr que Jack et Meg soient emballés par la tournure un peu beauf-primaire prise par leur célèbre morceau, mais bon…

Parlant de football belge malmené, les amateurs gardent en mémoire le mauvais trip musical envoyé dans les gencives anderlechtoises et liégeoises par le HSV Hambourg: à chaque banderille plantée par la formation hanséatique, Chris Martin, Coldplay et leur épique Viva la Vida (et son approprié « oh oh oh oh oh »), version moderne du I Will survive de France 98, débarquaient dans les baffles de la Nordbank Arena, laissant successivement le RSCA et le Standard sur le carreau de l’Europa League. Consolation pour les Rouches: les tribunes liégeoises restent unanimement considérées comme les plus animées de Belgique, grâce notamment aux chants de stade empruntés à… l’OM. Il suffit d’ailleurs de s’installer -en vrai ou sur Youtube- au Vélodrome marseillais pour réaliser que les hymnes de stade suintent certes les instincts mammifères, mais donnent une dimension quasi lyrique à l’expérience football. La conviction brutale avec laquelle on y hurle « Paris, Paris, on t’enc… «  n’a d’égal que les frissons procurés par cet autre hymne, largement adapté depuis, au Standard notamment: « Aux Armes. Nous sommes les Marseillais. Et nous allons gagner. Allez l’OM. Hohohoho ». Ou quand chaque bout de phrase, répété en écho dans la tribune d’en face, résonne comme un dialogue à 20 000… Face à cette force multi-humaine et au caractère résolument populaire, rock ou même bassement instinctif des chants de foot -évoquons ainsi l’entrée d’Arsenal sur The Wonder of you d’Elvis ou les matchs du Galatasaray Istanbul, chauffés à la sauce… Noir Désir-, on s’interroge encore sur le choix d’Haendel, retouché par Tony Britten, pour accompagner chaque match de Ligue des Champions. Et on ne parlera même pas de son misérable ersatz, le pathétique hymne de la Jupiler League, qu’on dirait joué par 3 cornistes au bout du rouleau.

On est bien loin, avec ces deux représentations hypocritement élitistes d’une beauté éthérée du sport, de l’impact foudroyant des chants de supporters anglais… Bien sûr, partout en Europe, les kops disposent de leur arsenal d’hymnes glorifiant le club ou certains joueurs emblématiques -Eric Cantona en était l’exemple type alors que, plus près de chez nous, le jeune prodige Romelu Lukaku doit se contenter d’une reprise remaniée du kitschissime Agadou, de Patrick Zabé… C’est dans l’archipel qu’a été reprise initialement la bombe footeuse We are the champions de Queen. Et c’est là aussi, au Celtic Glasgow et au FC Liverpool, que résonne le plus poignant de tous les airs repris en ch£ur: You’ll never walk alone, vieil air emprunté à la comédie musicale Carousel, de 1945, et aussi éloigné que possible du fondamental « Olé olé olé olé… ». Seuls les esprits retors, effrayés par tant de discipline de masse, ergoteront sur la beauté brute de ces tribunes qui se lèvent, larme à l’£il, pour porter leurs joueurs vers le succès. Ou vers la mémoire collective: les images de ces supporters brugeois en pleurs, saluant leur centre-avant tragiquement disparu, François Sterchele, en reprenant à l’unisson ce thème imaginé pour les soldats partis au front, resteront à jamais gravées dans l’histoire du foot belge. Et là encore, rendons à Bruges ce qui lui appartient.

Texte guy verstraeten

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