Chanson de gestes

Diana Evans sonde avec subtilité la classe moyenne afro-britannique via deux couples aux prises avec la quarantaine, la parentalité et les désillusions.

Au sortir de la réception des frères Wiley pour célébrer la première victoire de Barack Obama comme président, Michael espère juste que la nuit sera enfin propice à retrouver de la complicité avec Melissa, avec qui il est en couple depuis treize ans. À  » jouer leur propre musique sous le silence des draps« . À profiter de l’absence de leurs deux enfants. Mais une souris apparue dans la salle de bains de leur petite habitation biscornue de Paradise Row (au sud de Londres), un courant d’air et la grande fatigue de sa compagne tuent l’espoir dans l’oeuf. À Dorkin, en banlieue, leurs amis Stephanie et Damian sont eux aussi dans l’impasse: son père à lui vient de décéder, et son deuil colore d’apathie toute la dynamique du foyer au grand agacement de son épouse. Damian refuse une aide thérapeutique car  » seuls les Blancs prompts à s’apitoyer sur leur sort s’offraient les services d’un psychologue« . Coincé dans les suburbs, il aspire à avoir de nouveau à sa portée le rugissement de Brixton et les plats antillais à emporter. Chez les deux femmes, la charge mentale a depuis longtemps allumé ses voyants et Melissa, restreinte dans sa marge d’épanouissement depuis deux grossesses, en vient même à développer une paranoïa vis-à-vis de sa maison, qu’elle suspecte d’être hantée.

Chanson de gestes

À l’instar de John Legend (qui met sa marque sur le titre du roman:  » We’re just ordinary people /We don’t know which way to go« ), Diana Evans ne cherche guère à dissimuler l’usure domestique désemparée de ses quatre personnages et les compromis pour continuer à faire ciment. Tout comme le Crystal Palace (palais d’exposition en fonte et verre, brûlé puis reconstruit au sud de la ville), fantôme architectural des joies passées qui surgit mentalement çà et là, l’édifice relationnel s’effrite. Perte de désir ou de sens, incompréhension mutuelle, sentiment d’oppression: un champ de bataille de basse intensité poisseuse règne en maître. La grande force de Diana Evans est de maintenir une tension poétique et de ne pas tomber dans un travers risqué, celui de l’identité comme seul noeud fictionnel: émigrés de deuxième génération, les deux couples ont les signes de la réussite mais le propos n’est plus cette accession à la middle-class d’individus noirs et métisses. Melissa et Michael, Stephanie et Damian, corps et esprits qui ont désormais tant de mal à s’aimer, tentent, comme tout Européen lambda, de recoller les morceaux à Torremolinos. Mais n’est-ce pas inéluctable que les histoires d’amour finissent mal, en général?

Ordinary People

De Diana Evans, éditions Globe, traduit de l’anglais par Karine Guerre, 384 pages.

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