DE CINDY SHERMAN, 1981

C’est l’un des plus grands noms de la photographie contemporaine. L’un des plus cotés aussi: pour Untitled #96, en 2011, les enchères ont frôlé les quatre millions de dollars chez Christie’s, à New York -aujourd’hui encore, le cliché est le deuxième plus cher de l’histoire de la photographie. L’Américaine Cindy Sherman n’a pas toujours connu autant de reconnaissance. Au point de se plaindre parfois de voir le prix des oeuvres de ses collègues masculins grimper plus vite que les siens… Féministe, Sherman? « Mon travail est ce qu’il est et j’espère qu’il est vu comme une oeuvre féministe, ou habitée par le féminisme, mais ne comptez pas sur moi pour développer tout un tas de conneries théoriques sur la chose. »

Voilà qui est clair. Ou pas. Un peu comme tout le travail de Cindy Sherman d’ailleurs, pétri d’ambigüités, entre pop art et avant-garde conceptuelle. Le modèle de ses portraits, par exemple, est à peu près unique: elle-même. Malgré cela, elle l’assure, sa démarche n’a rien d’autobiographique. Certes, la photographe est la seule protagoniste de ses compositions. Et pourtant, pas un seul ne la montre vraiment… Déguisée, maquillée, elle incarne toute une série de personnages, caméléon multipliant les références dans une sorte de « Photoshop » avant l’heure.

Née en 1954, Cindy Sherman se fera remarquer dès la fin des années 70, avec sa série noir et blanc Untitled Film Stills, devenue aujourd’hui culte. Elle y recrée des scènes de films, tout en les détournant. En filigrane est questionnée la représentation que le 7e art propose de la femme, Sherman citant aussi bien Hitchcock que la Nouvelle vague, Fassbinder… Par la même occasion, l’artiste montre que si la photo ne peut rivaliser avec la télévision ou le cinéma, elle peut les incorporer et s’en servir pour dynamiter son propre fonctionnement.

Mais c’est en 1981, avec sa série Centerfolds, qu’elle marque définitivement les esprits. Le travail, en couleur cette fois, fait référence aux posters de pin-up agrafés au centre de magazines comme Playboy. Sherman détourne les poses lascives, introduit du malaise, comme sur le fameux Untitled #96. A nouveau, l’image de la femme est mise en perspective. Le critique d’art Peter Schjeldahl est subjugué, au point d’appeler en urgence sa rédaction pour placer un dernier papier avant le bouclage. Trop tard. En 2012, il raconte la suite au New York Times: « Il fallait absolument que j’écrive quelque chose. Finalement, ce fut un chèque. » Le critique repartira avec une oeuvre, payée alors 900 dollars… La réputation de Sherman ne fera dès lors que croître, son travail devenant dans le même temps de plus en plus « frontal ».

En 89, alors que les travaux de Mapplethorpe et Serrano subissent les foudres des lobbys conservateurs, l’artiste ajoute délibérément son grain de sel avec un nouveau cycle, baptisé Sex. Cette fois-ci, elle sort du cadre de l’objectif. A la place, elle met en scène des prothèses et autres mannequins en plastique, agencés dans des positions pornographiques. « The unsexiest sex pictures ever made », complimente Jerry Saltz. Dans le même temps, elle collabore avec le groupe punk féminin-pré riot grrrl Babes in Toyland, se chargeant de plusieurs pochettes…

Aujourd’hui, Sherman est régulièrement citée parmi les personnalités les plus influentes de l’art contemporain, aux côtés de Koons, Richter, Ai Weiwei… En 2012, le MoMA lui consacrait une grande rétrospective. En 97 déjà, ses Film Stills avaient eu droit aux honneurs de la grande institution new-yorkaise. A l’époque, l’expo avait été notamment sponsorisée par une certaine Madonna…

L.H.

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