KARKWA ET MALAJUBE FONT LEUR TROU AVEC DU ROCK EN FRANÇAIS. SUUNS ET TIMBER TIMBRE ONT MARQUÉ L’ANNÉE. CARIBOU S’APPRÊTE À REMPLIR LE VOORUIT… ZOOM SUR UNE SCÈNE CANADIENNE QUI S’EST RAREMENT AUSSI BIEN PORTÉE.

C’est l’un des événements musicaux de cette fin d’année. Le 8 décembre, Caribou débarquera au Vooruit dans sa formule Vibration Ensemble. Lisez avec Kieran Hebden (Four Tet), John Schmersal (Enon), James Holden, un joueur de trombone, un flûtiste, 2 saxophonistes… Créé pour le festival All Tomorrow’s Parties de Monticello (Etat de New York) en 2009 et décliné sous forme d’album l’an dernier, le projet n’est défendu que 3 fois en Europe par Dan Snaith et sa smala. A la Scala de Londres, au ATP de Minehead (dont ils sont les curateurs), et, entre les 2, à Gand. Dans ce mythique et charmant théâtre au bord de l’eau qu’est le Vooruit.

Comme son nom l’indique, Caribou, originaire de London, dans l’Ontario, vient du Canada. Que Neil Young, Leonard Cohen et Arcade Fire dorment sur leurs 2 oreilles. Avec Black Mountain, Born Ruffians, Japandroids, Holy Fuck, Timber Timbre et toute la clique, la bonne musique continue de bercer le pays de l’érable, des castors et du hockey sur glace. Montréal est d’ailleurs devenue l’une des plaques tournantes de la musique indé.

Si la vie s’y passe majoritairement en français, nombre de groupes canadiens anglophones y posent leurs instruments. Même des Américains comme le saxophoniste Colin Stetson né à Ann Arbor, dans le Michigan (signé sur l’intransigeant et indépendant label montréalais Constellation) ou, il y a quelques années, Merrill Garbus depuis devenue tUnE-yarDs. Un atout en termes de bouillonnement culturel et d’émulation.

 » Montréal a toujours été une ville de musique. Une ville assez libertaire aussi, explique François Lafontaine, claviériste de Karkwa. Du temps de la prohibition, les musiciens de jazz y passaient beaucoup de temps. Il y avait les bordels. L’alcool coulait à flots. Ça a toujours été une plaque tournante pour bien des mouvements. Dans les années 60, les beatniks et les hippies avaient New York, la Californie et Montréal… Lennon y a fait son bed-in. On a toujours eu de très bons musiciens dans le coin. Faut dire que tout est moins cher. Les loyers, les maisons, les locations… Les Besnard Lakes, qui sont de Vancouver, par exemple, ont leur studio à Montréal aujourd’hui. On a beaucoup d’infrastructures d’enregistrement. Et de toutes les tailles. En même temps, ça ne veut plus rien dire à une époque où tu peux fabriquer ton disque chez toi. »

Cul de pirate

Karkwa est le premier -et à l’heure actuelle le seul- groupe francophone à avoir reçu le prix Polaris (2010). Une récompense influente décernée par le petit monde des critiques et sacrant chaque année le meilleur album canadien tous genres confondus. Depuis sa création en 2006, Final Fantasy, Patrick Watson, Caribou, Fucked Up et Arcade Fire ont inscrit leur nom au palmarès. Excusez du peu.  » Avec le prix Polaris, on s’est rendu compte qu’on aurait peut-être dû mettre un petit peu moins d’énergie sur l’Europe et un petit peu plus sur le Canada, avoue le bassiste Martin Lamontagne. Le marché au Québec par rapport à notre style de musique est peut-être un peu saturé mais le prix Polaris a fait en sorte que nos dernières dates dans l’Ouest canadien, majoritairement anglophone, ont vraiment bien marché. Le Prix Polaris est un label de qualité. Et même s’il est remis à des francophones, les gens vont se déplacer pour aller l’écouter. »

En 2006, le New York Times et le mensuel américain Spin ont été jusqu’à faire de Malajube et de son bluffant Trompe-l’£il l’une de leurs révélations.  » Malajube a des atouts mais être québécois ne suffit pas. Je ne pense pas que Cul de pirate, euh pardon C£ur de pirate, puisse réellement percer ailleurs que dans les marchés francophones, commente dans un grand éclat de rire Laura Lloyd de No Joy. Un singer songwriter, tu dois savoir ce qu’il te raconte. »

Le positionnement géographique pose question pour les Canadiens tiraillés entre l’Europe et les Etats-Unis.  » On a des amis qui chantent en anglais et se sont lancés dans des tournées interminables à travers les States, reprend François Lafontaine. Comme Patrick Watson.Il a bien creusé son trou mais te faire un nom prend un temps dingue. Quand tu veux percer, tu as besoin de gens sur le terrain pour promouvoir ton nom et ta musique. Ça coûte de l’argent. Tout le fric qu’on investit en Europe et aux Etats-Unis, c’est du pognon qu’on gagne au Québec. Nous ne sommes pas encore capables de rentabiliser à l’international. »

Laura de No Joy est installée à Montréal depuis qu’elle a 15 ans. Elle vient de Victoria. Aussi loin qu’on puisse aller à l’ouest. Héritier de Sonic Youth et des Breeders, son « band » aime les voix noyées et les larsens comme le laisse entendre son premier album Ghost Blonde.  » Tout le monde est dans un groupe à Montréal. Tout le monde est créatif. Il existe une vraie et forte communauté artistique. Les gens se soutiennent. Il y a aussi pas mal d’infrastructures et de clubs qui peuvent t’accueillir et te permettre de jouer. »

Si la jeune femme reconnaît qu’une nouvelle vague de musiciens intéressants émerge depuis 2 ou 3 ans, elle n’est pas selon elle l’apanage du Canada.  » Je ne sais pas si tu as remarqué mais, entre 2006 et 2009, tous les groupes faisaient dans la même pop et le même rock indé tout pourri. Tous ces projets étaient juste dégueulasses. Avec la crise du disque, l’effondrement des majors, les artistes sont, je pense, plus libres et ont appris à être plus créatifs. Dans leur développement et dans leur musique. »

Aides à l’enregistrement, coups de pouce à l’exportation… La musique est tout de même fortement soutenue par l’Etat au Canada. Un peu comme en Scandinavie. Sans faire l’apologie des artistes subventionnés (encore faut-il bien distribuer l’argent et pouvoir le mettre à profit), ces aides ont le mérite d’exister.

 » On vit dans un grand pays à faible densité de population, note François Lafontaine. On est 8 millions au Québec. Moins qu’à Paris. Et le territoire est 3 fois plus grand que la France. La musique a donc besoin de subventions. Mais ça signifie qu’il y a un certain contrôle sur ce qui sort. En attentant, pour l’instant, notre super gouvernement canadien fait des coupes dans tout. »

 » Tu tombes parfois sur des fameux trous du cul dans le système de subvention, terminent en mode cash les filles de No Joy. Mais on les aime. On les adore. Au fait, il y a moyen d’avoir un peu d’argent pour notre prochaine tournée? » l

TEXTE JULIEN BROQUET

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