AVEC TROIS MONDES, LA RÉALISATRICE S’AVENTURE DU CÔTÉ DU FILM NOIR, SIGNANT UN POLAR À TROIS VOIX, OÙ LES DILEMMES MORAUX SOULIGNENT DES ENJEUX SOCIAUX.

« J’avais vraiment envie de me débarrasser de l’étiquette de films de femmes qui racontent toujours les émois et les problèmes des femmes… « , entame Catherine Corsini d’un ton posé mais décidé, alors qu’on la questionne, dans le cadre feutré du théâtre de Namur, sur la genèse de Trois mondes, son neuvième long métrage (lire critique page 31). De Poker en Nouvelle Eve, et jusqu’à La répétition ou Partir, sa filmographie s’est, pour l’essentiel, déclinée en un féminin pluriel en effet, qu’ont incarné successivement Caroline Cellier, Karin Viard, Emmanuelle Béart ou Kristin Scott Thomas. Avec sa trame de polar et son héros masculin dont le destin se dérobe, Trois mondes marque assurément une rupture, tout en cristallisant plusieurs de ses désirs, au confluent des sentiments et d’enjeux moraux comme sociaux.

Comme dans son précédent opus, Partir, le déclencheur en est un accident de voiture, bénin alors, dramatique ici, et circonstance nullement fortuite au demeurant. « A l’âge de douze ans, j’ai été renversée par une voiture, et le conducteur s’est enfui. Je me suis toujours demandé comment on arrivait à vivre en ayant fauché quelqu’un, sans savoir si cette personne était vivante ou morte. Je trouve cela d’une violence inouïe et tellement incroyable, mais en même temps, un commissaire de police que j’ai interviewé m’a dit que c’était un choc pour tout le monde, conducteur compris. Et que lui-même ne savait pas quelle attitude il adopterait dans ces circonstances. » En l’occurrence, la cinéaste y a trouvé un moteur de fiction lui permettant, au-delà des dilemmes moraux, de télescoper trois mondes, que l’on pourrait, schématiquement, ramener à celui de l’entreprise, celui de la parole et celui des laissés-pour-compte. « Je voulais traiter de ces mondes sans tomber dans quelque chose de trop caricatural, et montrer qu’on vit dans une proximité: quand je prends le métro, il m’arrive souvent de me dire qu’avec tous ces gens, on a beaucoup en commun, on est éloignés mais ensemble, même si on ne se voit pas. »

De là à discerner dans Trois mondes l’ébauche d’une parabole sur la société contemporaine, dans ses dérives et sa confusion, chacun s’y débattant avec ses contradictions, ses souffrances et ses difficultés à (sur)vivre, il n’y a qu’un pas. « En ce sens, il s’agit d’un film politique, approuve Catherine Corsini, qui poursuit: Je crois au déterminisme et à la lutte des classes. Même si les choses sont moins clivées, ou qu’on arrive moins à les discerner qu’au XIXe siècle, on se trouve dans des situations plus brutales encore, que ce soit concernant les exclus, les gens sans droits ou ceux qui sont parqués dans des vies misérables et difficiles… » C’est dire si, en dépit de l’une ou l’autre scorie, le film balaie un horizon interpellant, qui ausculte une société largement corrompue tout en ouvrant le champ à une possible rédemption. La cinéaste ne compte d’ailleurs pas en rester là: « Cette expérience de film noir m’a beaucoup plu, conclut-elle, et j’ai envie de poursuivre. » Histoire aussi de tordre le cou définitivement aux préjugés…

LIRE AUSSI L’INTERVIEW DE RAPHAËL PERSONNAZ, INTERPRÈTE PRINCIPAL DE TROIS MONDES, EN PAGE 24.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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