MÉTROPOLE CULTURE 2014,MOLENBEEK PRÉVOIT DES DIZAINES D’ACTIVITÉS TRANSVERSALES, MIXANT RAP, DANSE, ART MODERNE OU THÉÂTRE SOUS L’IMPULSION DU CAMÉLÉONESQUE PIERRE-ANDRÉ ITIN. DE L’AUTRE CÔTÉ DU CANAL,LA RÉVOLUTION CULTURELLE DÉMINE PRÉJUGÉS ET PAUVRETÉ. Y A DU BOULOT.

« J’aime les challenges un peu timbrés, la transversalité, et sur Molenbeek 2014, il faut être touche-à-tout, 360°, casser les frontières: aller sur le terrain discuter avec les rappeurs, et puis enchaîner par un meeting chez un sponsor potentiel. Au début de mon boulot, mes amis me demandaient ce que j’allais foutre là-bas, si je m’y sentais en sécurité. » La cinquantaine frisée et workaholic, Pierre-André Itin trimballe ses guêtres de Coordinateur général de Molenbeek depuis le mois de janvier 2013.

Pari audacieux puisque pour moins d’un (modeste) million d’euros fourni par diverses instances publiques -salaires compris-, il s’agit de fabriquer une année culturelle à Molenbeek-Saint-Jean. Cocotte-minute de 100 000 âmes occupant six kilomètres carrés, densité d’habitation deux fois supérieure à la norme bruxelloise. Un quart d’étrangers, 27,40 % de moins de 17 ans et plus de 30 % de chômeurs. Et une gestion politique où le baron socialiste Philippe Moureaux -20 ans de mayorat- est dépossédé de son trône de bourgmestre fin 2012 par la MR Françoise Schepmans. « Je mène ma barque en évitant les pressions des politiques« , précise Itin, au canal et au moulin. Semaine et weekend, quitte à débarquer dans une discussion avec des jeunes du Centrum West qui ont cuisiné deux phrases un peu « chaudes » sur les flics pour la chanson-hymne officielle de Molenbeek 2014, MolemCapitale (sic). PAI doit trouver la ligne médiane entre autorité et liberté versifiée sans jouer au prof. Le gamin qui a pondu la tirade renâcle. Quand Pitcho, maître rap coordonnant l’entreprise, débarque, le mélodrame s’est presque dégonflé. La scène, vécue chaud-boulette, date d’environ quatre mois: depuis lors, la machine Molenbeek est rentrée en phase suractive. Itin: « Je suis moins directeur que coordinateur. Ou, si tu veux, entremetteur. Oui, j’admets un côté control freak parce que je veux avoir un oeil sur tout: d’ailleurs parfois, on m’appelle Madame Thatcher (sourire). »

Venu du monde du marketing, de la culture et de l’entertainment, PAI a été quatre ans GO au Club Med et 20 ans directeur de la Ligue d’Impro: arrivé par hasard dans l’événementiel, il ne l’a jamais quitté. Le récent Viva For Life ertébéen, c’est lui qui gère, mais toujours « en électron libre, sans carte de parti« . Ce Bruxellois qui a tout juste terminé ses Humanités, ex-sportif prometteur (11.2 aux 100 mètres), avoue qu’initialement, il n' »avait pas très bien capté le déficit d’image de Molenbeek qui souffre de clichés -certains ne sont pas faux: ce projet de 2014 a aussi pour but d’amener un capital sympathie envers la commune, voir ce qu’elle a dans le coffre. Ce qui serait bien, c’est qu’on ne dise plus « de l’autre côté du canal » pour parler de Molenbeek: il faut que Bruxelles mette ses deux rives ensemble. » Sur les dizaines de projets proposés pour cette année 2014, Itin, qui doit louvoyer entre les contingences financières, veut garder « une vue hélicoptère, c’est-à-dire survoler et équilibrer« .

Idéal du Gazeau

On retrouve parfois PAI au pilotage direct. Par exemple, en ce 25 janvier où les festivités s’enclenchent officiellement avec MolenStart, soirée spectaculaire menée au parc (humide) du Karreveld, « coin chic » de Molenbeek, où un son et lumière à 70 000 euros rassemble les citoyens divers. Il est là, emmitouflé dans une casaque blanche frappée du sigle officiel de Molenbeek 2014, une éolienne mauve. La scénographie a été bossée jusqu’à six heures du mat’: « Au Club Med, je me suis rendu compte que je n’étais pas très doué pour me produire sur scène. Par contre, cela me bottait de tout entourer. Là, on a utilisé les énergies citoyennes de la commune entourées par des pros, avec l’ambition de montrer le Karreveld comme jamais auparavant. » Feu d’artifices, projections sur le vieux château du parc, défilé fruité de mannequins baroques, interlude de cordes, rap avec l’emblème MolemCapitale: le résultat peut paraître un chouïa kitsch, il a néanmoins de l’allure. Si PAI était un cheval (…), ce serait Idéal du Gazeau (1974-1998), trotteur international prompt aux longues distances: « Molenbeek 2014 est une toile d’araignée, il doit y avoir 200 associations sur sa superficie: l’un de mes rôles est d’avoir tout scanné et tout croisé. Et de leur faire remarquer qu’elles ont peut-être quelque chose en commun, à partager les unes avec les autres! » Alors, vu de l’extérieur, revitaliser Molenbeek, c’est un peu comme vider l’eau brunâtre du canal à la petite cuillère. Peut-être pas, vu que cet espace aux innombrables nationalités, de chaude réputation, borde aussi Bruxelles-Ville. Qui déborde, sue et coince sur son espace contingenté, cherchant de l’oxygène dans le voisinage.

Molenbeek renaît justement depuis ce Canal de Bruxelles, a priori juste une grosse rivière grise et artificielle du début XIXe. C’est là que fonctionne depuis mai 2013 l’Hôtel Meininger, un low-cost qui fait pratiquement le plein quotidien avec plus de 700 visiteurs: le bâtiment fait partie d’un projet à 14 millions d’euros sur le site des anciennes brasseries Belle-Vue. Indice que cette commune qui cueille traditionnellement les migrations en cours peut transformer son riche passé industriel, ses usines et dépôts déclassés, en nouvelles agoras urbaines ou en entreprises qui snobent la crise. C’est aussi le long de l’eau que les habitations bobos se construisent ou s’aménagent dans de vieilles baraques reliftées. C’est là qu’un des événements majeurs de Molenbeek Métropole Culturelle prendra place, autour et sur le canal, le 26 avril. Ce bien nommé MolenCanal comme le MolenDance -également en avril- ou le MolenZik autour du 21 juin, sont des événements emblématiques de l’année 2014. Bien évidemment destinés à déborder le seul intérêt communal et à faire (re)découvrir les richesses locales, telles que la Raffinerie de Charleroi-Danses (ex-Plan K), là où à la fin des années 70, Joy Division & C° redessinent le futur. Itin: « Le plus important, c’est sans doute la pérennité, c’est pour cela que l’asbl Promouvoir les cultures à Molenbeek a vocation de continuer après 2014. Si les gens se parlent, si le capital sympathie augmente ne fût-ce que d’un millimètre, si les clivages changent, si on pense Molenbeek autrement qu’en termes de pauvreté ou de criminalité, on aura déjà gagné notre pari. La réussite, c’est ce qui restera de 2014. »

TEXTE ET PHOTOS Philippe Cornet

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