Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

LE FREAK, C’EST CHIC – FIN SIXTIES, CAN INVENTAIT L’ART DE L’IMPROVISATION ACIDE. LA RÉÉDITION DE L’ÉPILEPTIQUE TAGO MAGO CONFIRME L’INFLUENCE PRÉGNANTE DU GROUPE SUR RADIOHEAD, PIL OU ARNO.

DOUBLE CD « TAGO MAGO-40TH ANNIVERSARY »

DISTRIBUÉ PAR PIAS.

Dans Mushroom, le 2e morceau de Tago Mago, on entend à la fois des échos du futur PIL -la rythmique hypnotique et sournoise- et Arno beugler dans TC Matic. Cette musique, qui a quitté les contreforts de la marginalité auxquels elle semblait naturellement destinée, va donc essaimer dans les générations suivantes. En 1968, Irmin Schmidt, compositeur et pianiste classique, découvre l’avant-garde musicale de Steve Reich, La Monte Young, Terry Riley et la révolution noisy du Velvet Underground. Les bases idéologiques de Can sont nées. Après un court moment en trio, le groupe allemand se stabilise autour de Schmidt, du bassiste Holger Czukay -autre fan de Stockhausen-, du batteur Jaki Liebezeit, fatigué de l’aventurisme free, et d’un guitariste de 19 ans, Michael Karoli. Du côté de Cologne, ils bidouillent 2 albums avec l’Américain Malcolm Mooney, qui quittera le bateau pour cause de dépression nerveuse. De fait, la musique -taillée par Czukay dans de longues impros bouclées sur un 2 pistes- refuse tout confort, toute planerie hippie: sons crissants et répétitifs, rythmique gloutonne, délires space des claviers, vocaux psalmodiés à l’orientale. Si ce n’est pas la traduction métaphorique de l’époque troublée -on rentre bientôt dans la période Baader-Meinhof, cela en a le même effet de poing dans la gueule.

Electronique ta mère

Et puis voilà le 3e album chanté/crié par Damo Suzuki, vocaliste japonais qui laissera Can en 1974 pour devenir témoin de Jéhovah (…). Entretemps, ces 73 minutes 27 secondes qui forment à leur sortie le double 33 Tours Tago Mago surprennent par leur carrure « amateur »: pas de prod enjoliveuse, pas de gonflette hormonée, pas d’Hi-Fi clinquant, le son est un  » bruit fabuleux » qui s’infiltre dans tous les pores de la musique. Can est moins une BM ronronnante qu’une Benz sans âge, traficotée par des gadgets électroniques dans un garage au fin fond du Maroc. Sur des jantes shamanesques qui éclatent les routes toutes tracées: l’orage diluvien de Oh Yeah et sa transe maniaque, le blues tribal des 18 minutes (…) d’ Halleluwah ou les parfums world incestueux d’ Aumgn. Tout cela n’est pas plus courant en 1971 que ça ne le serait aujourd’hui, sauf que cette façon très libertaire/libérée de faire de la musique, de fendre la carcasse du rock binaire, a engendré de multiples réincarnations: dans les artistes déjà cités mais aussi chez The Fall, Jesus And Mary Chain, Primal Scream, Flaming Lips, Julian Cope, de la dance à l’electronica. Comme les compositions -toutes signées collectivement-, le live de Can est d’abord un organisme communautaire tentaculaire: le second CD, qui présente 3 morceaux pour 48 minutes de musique enregistrés en 1972, en exhibe le génial bordel maîtrisé. l

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