Soko: « Depuis toujours, je déteste l’idée de chanter comme une fille »

Soko: "Depuis toujours, je déteste l'idée de chanter comme une fille. Je préférerais que ma voix n'ait pas de genre." © MIRIAM MARLENE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Trois films à sortir et un nouvel album (Feel Feelings) dans les bacs… Année chargée pour une jeune maman qui s’est cassé le pied en janvier et a chopé le Covid. Soko unchained…

La première fois qu’on a croisé sa route, c’était il y a douze ans dans les errances nocturnes d’un festival de découvertes danois. Elle avait joué dans quelques films et gratouillait I’ll Kill Her, menace de meurtre sur la petite amie de son ex. Souriante, spontanée, épanouie, la Bordelaise Stéphanie Sokolinski, alias Soko, a aujourd’hui 34 ans. Elle vit à Los Angeles. Au cinéma, elle a déjà été boxeuse (Dans les cordes), atteinte d’hystérie en 1885 (Augustine), pionnière de la danse moderne (La Danseuse) et même Béatrice Dalle jeune pour Virginie Despentes (Bye Bye Blondie)… Elle sort aujourd’hui son troisième album auquel ont participé Sean Lennon, des membres de MGMT, Beach Fossils, Chairlift et Babyshambles. Video-call transatlantique.

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Pourquoi avoir repoussé la sortie de ton disque?

J’habite à Los Angeles. La situation mondiale, mais surtout aux États-Unis en ce moment, est assez folle (cette discussion a eu lieu le 5 juin, NDLR). Je ne pense pas que c’était le bon climat pour sortir un album. Je ne le sentais pas de faire la promo: achetez mon disque, il est super. Et je pense surtout qu’il est important de montrer son soutien à tout le mouvement Black Lives Matter. J’avoue: je ne sors pas vraiment de chez moi parce que j’ai un bébé et que c’est pas prudent. Il y a des hélicoptères toutes les quinze minutes au-dessus de la maison. Des sirènes toute la journée. J’ai vu des vidéos assez violentes…

Tu as toujours donné l’impression d’être une éponge émotionnelle. Comment vis-tu tout ça avec un enfant en bas âge?

Heureusement que j’ai mon bébé en fait. Ça m’oblige tous les jours, quand je me réveille, à être aussi positive que possible et à faire en sorte qu’on passe une super journée. Je minimise mon côté empathique pour ne pas le contaminer avec mon stress et mon anxiété. J’essaie de l’épargner au maximum et, en même temps, je me préserve. Je suis obligée. Après, quand je vais me coucher, je lis et je regarde les infos. Je ne dors pas beaucoup…

La maternité t’a-t-elle profondément changée?

J’avais envie d’être maman depuis que je suis vraiment toute petite. J’ai commencé à travailler à seize ans. Je n’avais fait que ça la moitié de mon existence. J’ai ressenti le besoin d’accorder autant d’importance à ma vie personnelle qu’au boulot. Je ne voulais pas, un jour, me dire que j’avais raté quelque chose parce que je ne m’étais pas assez concentrée sur mon propre épanouissement. Je ne pense pas que la naissance ait changé mon rapport à la musique pour l’instant. Je n’ai pas écrit de nouvelles chansons mais j’en écoute toujours tout le temps. J’essaie de faire découvrir à Indigo tous mes morceaux préférés et je lui chante plein de berceuses. Son prénom vient d’un titre que j’adore, Indigo Blue de The Clean.

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Ton disque a germé lors d’une retraite au Hoffman Institute. Comment t’es-tu retrouvée là-bas? Tu y cherchais quoi?

L’album n’y est pas né mais j’ai commencé à enregistrer juste après mon séjour. J’avais prévu d’y aller depuis longtemps. Ça faisait des années que j’y pensais. Mais je n’avais jamais pris cette semaine juste pour moi. Pour faire un travail personnel. Je suis très active d’un point de vue physique. Je fais du yoga. Je cours. Mais je pense qu’il est aussi nécessaire de prendre soin de sa santé mentale. J’adore depuis toujours la thérapie. L’idée d’effectuer un travail profond pour être en paix avec soi-même. De faire des efforts pour améliorer notre propre condition humaine et, du coup, nos rapports aux autres. Parce que développer de l’amour propre et bien s’entendre avec soi procurent, je pense, des outils pour être une meilleure personne sur terre. Si tout le monde le faisait, on serait sans doute dans un bien meilleur environnement globalement.

En quoi ça consiste?

C’est un programme de découverte et de développement personnel. On t’y apprend à abandonner tes mécanismes de défense, à penser de manière plus profonde, à écouter tes sentiments. On ne peut plus mettre en veille nos émotions. C’est un lâcher-prise énorme. Tu passes une semaine à chialer. C’est génial. Tu n’as pas de téléphone. Aucun contact avec le monde extérieur. Au début, chaque fois qu’on avait un break, je fouillais dans mes poches pour aller chercher mon portable. (Sa moitié lui amène le petit-déjeuner: Tu as vu ça? J’ai gagné à la loterie de la meilleure girlfriend du monde) Au bout d’une semaine, tu te dis que tu n’en as plus besoin. Que ce qui importe, c’est la connexion aux autres. Et qu’à force de se déconnecter, d’être toujours online, de s’empêcher de penser parce qu’on passe son temps à cliquer, on oublie d’aller profondément à l’intérieur de soi voir ce qui s’y passe et réparer les blessures potentielles.

Tu vis à Los Angeles mais ce disque a essentiellement été enregistré à New York entre l’automne 2016 et le printemps 2017…

Toutes les portes s’ouvraient. Un ami m’a proposé de rester chez lui et d’enregistrer ensemble. C’était Sean Lennon. Du coup, je suis restée à New York. Je me suis dit que je mettrais en boîte mon disque et que quand ça serait fini je rentrerais en Californie. J’y ai passé un an et demi finalement. J’ai certes enregistré quelques trucs avec Sean. Puis aussi Upstate New York dans le studio de sa mère. Mais j’ai surtout beaucoup bossé avec Patrick Wimberly (la moitié de Chairlift, NDLR). J’ai aussi fabriqué quelques morceaux avec Dustin Payseur de Beach Fossils et James Richardson de MGMT. On enregistrait chez lui sur son laptop. Ça s’est fait de manière tellement naturelle et simple. J’ai plein de potes musiciens à New York que j’adore et que j’admire avec qui j’avais envie de faire de la musique. Je leur disais juste: « Viens, on va jouer. Au pire, on aura juste passé une bonne journée ». James Righton (ex-Klaxons) et Drew de Babyshambles ont aussi donné un coup de main.

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Tu t’es interdit toute relation sexuelle et sentimentale pendant un an et demi. C’était pour consacrer tout ton amour et ton attention à la musique?

C’est exactement ça. Mais aussi pour arrêter de me dire que je n’ai de la valeur que quand je suis aimée de manière romantique. J’avais besoin de travailler sur mon amour propre. De m’assurer que je pouvais m’épanouir sans devoir mettre ça entre les mains de quelqu’un autre. Et c’est le cas. Ce sevrage m’a permis de n’avoir aucune distraction et d’être hyper concentrée sur le moment présent en studio. J’y ai mis tous mes sentiments, toutes mes frustrations. Tout, tout, tout. J’ai l’impression que ça a énormément enrichi l’album. Je ne pense pas que ce sera un truc que j’aurai l’occasion de refaire. Ni même que j’aurai envie de réitérer l’expérience. Mais ça m’a permis d’avoir l’album que je voulais. De me débarrasser de plein de modèles qui ne me servaient pas forcément et d’arriver à enfin être prête pour une relation saine et stable.

C’était quoi l’idée avec ton disque?

Musicalement, je voulais un album beaucoup plus lent. Plus épuré. Solaire. Très intime. Avec moins d’arrangements. Point de vue sonorités, je tenais à des batteries hyper sèches. Des basses mélodiques et groovy. Des voix très présentes aussi. Des guitares pleines de refrains et des synthés partout.

En écoutant deux de tes morceaux, j’ai l’impression d’entendre King Krule.

L’album s’appelle Feel Feelings. On a tous un tas d’émotions en nous. Mais aussi une multitude de voix. Je ne parle pas avec toi de la même manière qu’avec ma mère, mon fils ou ma meuf. Du coup, j’avais envie de casser ce truc trop linéaire. D’amener une autre part de ma personnalité qui est plus androgyne. Depuis toujours, je déteste l’idée de chanter comme une fille. Je préférerais que ma voix n’ait pas de genre. Je ne voudrais pas qu’elle soit différente. J’adore pouvoir l’utiliser comme je le fais. Mais justement, je voulais aller plus loin. Avoir ma voix féminine mais aussi ouvrir la porte à mon côté plus androgyne et non binaire. Enfin, je ne me sens pas vraiment non binaire. Je suis très épanouie dans ma peau de femme.

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Exploration du vide consécutif à une rupture, Blasphémie est la première chanson que tu as écrite et que tu chantes en français.

J’avais envie d’appartenir à là où j’habite. J’ai ressenti le syndrome de l’imposteur. Ça m’a fait remonter aux sources de mon amour pour la musique. Grandir en écoutant Gainsbourg. Découvrir Air. J’avais envie de célébrer que j’étais française. J’ai décidé d’habiter aux États-Unis mais j’ai quand même en moi tout ce background, toute cette culture. J’avais envie de leur rendre hommage. Blasphémie du coup est sorti tout seul. C’est un sujet que je n’arrivais pas à aborder en anglais parce que c’est une histoire que j’ai vécue en France. Elle est tellement ancrée à Paris, à cet appartement, sous les toits… Quand j’essayais de l’écrire, je me replongeais tellement dans ce moment que je n’arrivais pas à exprimer mes émotions dans une autre langue. Je pourrais très bien rechanter en français à l’avenir mais ce n’est pas quelque chose non plus que j’ai envie de forcer.

Quiet Storm parle de violences conjugales. C’était un thème important à aborder pour toi?

J’ai écrit cette chanson pour une copine qui vivait ce genre de situation. Je lui disais: « Mais ça va pas. Viens chez moi. Arrête tout ça. » Et en l’écrivant, j’ai eu une espèce de révélation. J’avais vécu exactement la même chose. J’ai été enfermée dans le même truc et j’étais totalement incapable de m’en sortir quand ça m’est arrivé. J’ai mis un an à m’en dépêtrer. Pourquoi? Parce que tu as l’impression que dans cette relation l’amour est plus fort que la haine. Que tu n’as jamais été aimée de manière aussi passionnelle. Que ça doit être ça le vrai amour. Que ça doit être quelqu’un qui t’aime tellement, tellement, tellement…

Qu’il te tape dessus…

Voilà. Du coup, c’est dur d’en sortir. Parce que tu te dis que c’est tout ce que tu mérites. Et qu’en fait, tu ne vois même pas le problème.

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Tu n’as pas abandonné le cinéma. Quelques films arrivent: Little Fish notamment, qui sur papier ressemble à Eternal Sunshine of the Spotless Mind versus le Covid-19…

Ouais, c’est vraiment ça. C’est l’histoire d’une pandémie. Je joue une musicienne. Elle fréquente un mec qui contracte le virus, perd la mémoire et ne se rappelle plus d’elle. Je suis aussi la meilleure amie du couple principal. Le film explique comment leur petit monde se détruit. C’était mon premier film américain. Il a été réalisé par Chad Hartigan. Une super expérience. On a tourné au Canada. Indigo avait trois mois et demi. J’allaitais encore. On tournait beaucoup de nuit. Chad a été le mec le plus féministe et le plus à célébrer la maternité que j’ai rencontré. Lui aussi a eu un enfant pendant le film. Nos bébés sont copains…

Il y aura aussi Mayday.

Oui. De Karen Cinorre. Avec Mia Goth et Juliette Lewis. On a tourné ça en Croatie. C’est un film rien qu’avec des meufs. Méga féministe. Une espèce de fable onirique sur les filles qui reprennent le pouvoir pendant la guerre. Il y aura aussi A Good Man de Marie-Castille Mention-Schaar qui vient d’obtenir le label Cannes. C’est l’histoire d’un couple LGBTQ qui essaie d’avoir un bébé. Il y a toujours la volonté de faire passer un message dans les films que je choisis. Mais aussi les films finalement qui me choisissent. J’ai la chance qu’on me propose essentiellement des projets intéressants.

Soko sera bientôt à l'affiche de A Good Man, le nouveau film de Marie-Castille Mention-Schaar.
Soko sera bientôt à l’affiche de A Good Man, le nouveau film de Marie-Castille Mention-Schaar.© PYRAMIDE DISTRIBUTION

La dernière chose qu’on entend sur ton disque, ce sont les battements de coeur de ton enfant…

J’ai fini l’album avant de tomber enceinte. J’étais en train de mixer et je me suis dit qu’il fallait qu’il y ait une trace d’Indigo dessus. Du coup, lors du premier ultrason, je suis arrivée avec mon micro et j’ai demandé à la nana s’il était possible d’enregistrer. Elle m’a dit: « Bien sûr. On est à Los Angeles. Tout le monde fait ça tout le temps. » Je les ai glissés à la fin du dernier morceau. Sans doute pour arriver émotionnellement à clore ce chapitre et passer à autre chose.

C’est dur d’être intime sans trop donner?

J’ai l’impression de pas trop avoir de tabou et de problème à partager les choses qui sont essentielles pour moi. J’échange plein de trucs avec ma famille. Mais c’est important d’avoir de la visibilité. Et plus c’est personnel, plus ça touche les gens.

Soko – « Feel Feelings »

Distribué par Caroline/Universal. ***(*)

Soko:

Anti-folk sur son premier album I Thought I Was an Alien, plus rock sur son successeur My Dreams Dictate My Reality, Soko signe avec Feel Feelings, mixé par Chris Coady (Beach House), un disque de pop sensuel, tamisé et aérien. Being Sad Is Not a Crime a le côté lexomil désaccordé de Mac DeMarco. Looking for Love partage l’ambiance flottante et en apesanteur d’Air. Là où Blasphémie, la seule chanson en français de l’album (et sans doute la plus réussie) a des faux airs de Gainsbourg et de Biolay. Hymne gay, drague queer et préoccupations universelles… Soko under the rainbow.

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