Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Californication – Frénétique, exalté, mélodramatique et irritant, l’album au titre interminable est d’abord une chose magistralement (dé)culottée.

« La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon c£ur »

Distribué par EMI.

Tout ce que vous détestez déjà chez lui, le chanteur de Perpignan le remet sur la table, ostensiblement, brusquement, goulûment, bien en vue, avec un immense rictus et 3 couches d’emphases supplémentaires. Sur cette quatrième livraison studio, tout est archi mélo: les arrangements, le son, les mélodies et, bien sûr, les textes. Ce n’est pas de la poésie à dentelle -quoique Cali ait une vision plutôt détricotée des mots- mais une nitroglycérine on the rocks. Justement, l’enveloppe sonore a été confiée à Geoffrey Burton, bombardé producteur. Ce brillant guitariste gantois qui a beaucoup joué avec Arno et -à moindre degré- Bashung, Higelin voire Iggy Pop, nous confiait, juste avant d’entrer en studio au printemps dernier:  » Cali est étonnant parce qu’il n’a aucune limite, et je sens qu’il est prêt à prendre des risques artistiques pour ce nouvel album. » Geoffrey n’avait pas tort et a pu, visiblement, lâcher les manettes et quelques solos tranchants sur ces titres qui sonnent de manière inhabituelle au rayon répertoire chanson (?) française. Un salmigondis de sentiments crus, déballés sans entraves, qui débute par un premier titre au boum-boum Velvet Underground ( Je sais ta vie) et qui escalade ensuite tous les préceptes de l’exhibition de soi, jusqu’à Nous serons tous les deux. Ce titre, qui arrive en septième position de lecture, est sans aucun doute la plus grande parodie de Brel jamais réalisée: autant dans le thème de la solitude finale d’un couple qui se défait que dans le phrasé « brêlant » adopté par Cali et le grand orchestre au bord du coït.

Yin et yang

L’autre influence prégnante est celle de Léo Ferré, d’ailleurs cité nommément dans Je te veux maintenant. Et ce, dans le désir permanent de lyrisme qui n’a plus aucune barrière de pudeur ou de grandiloquence. Le vieux Ferré avait pour lui cette voix capable de transformer la révolte dans un granit plus proche de la tragédie antique que du boulevard. Cali n’a pas cette distance: il raconte ses amours -nombreuses et blessées-, son alcoolisme ( Je vais arrêter de boire) ou la violence de grandir ( Je regarde mes 17 ans) comme s’il chantait en direct devant 2 milliards de spectateurs. Fort, haut, fort, haut. Deux chansons tranchent: l’une par son thème de flic terrifié par sa propre violence face aux sans-papiers ( Lettre au ministre du saccage des familles et des jeunes existences dévastées) et le punky Cantona, interlude marrant dédicacé au footballeur français. Ceci dit, dans une période où beaucoup de disques semblent mous, prévisibles et consensuels, l’expérience de Cali est aussi agaçante que revigorante. Il livre une forme de générosité ultime dans ses lamentations comme dans ses colères. Son absence de bon goût -cette pochette…-, de mish-mash tempéré comme 95 % de la production française actuelle, constituent un mécanisme de yin et de yang qu’il vous appartiendra de gérer. l

Philippe Cornet

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