PLUS COMPLEXE QUE SA RÉPUTATION « PARISIEN MODE », BERTRAND BURGALAT PROPOSE TOUTES DIRECTIONS, ALBUM REPRÉSENTATIF D’UNE ÉPOQUE OÙ LE DOUTE DEVIENT LE MOTEUR DU PLAISIR. RENCONTRE D’UN RÉPUBLICAIN.

Il y a quelques années, on visite Burgalat à domicile, du côté des Batignolles parisiens, dans le XVIIe. L’appart évoque davantage un film seventies de Claude Sautet -moulures et tentures épaisses- que le repère lofté d’un aficionado de Technikart. On pense l’endroit hérité de ses parents: même pas, c’est bien lui qui a choisi le confort bourgeois de son antre. Sa copine Valérie Lemercier nous parle des sorties festives à Bruxelles et de Strip-Tease. On boit une tasse de thé, Bertrand porte son blazer bleu de petit communiant de la France gaullienne. Fils de Préfet de la République, BB a résidé un peu partout, notamment en Haute-Corse, où il est né en 1963, d’où la possible irréductibilité de son caractère. Fin janvier 2009 au Botanique, juste avant de monter sur scène, la conversation avec BB revient à la politique. Dans les années 80, le futur chanteur-compositeur-arrangeur fréquente l’extrême-droite groupusculaire de Jean-Gilles Malliarakis. Burgalat reconnaît cette « erreur de jeunesse » mais la remontée inopinée d’un épisode « qui était un peu un acte en réaction à l’idée d’une vieille France encroûtée » lui fait passer une mauvaise soirée.

Dubaï My Love

Trois ans ont passé, Bertrand, pas rancunier, sourit dans un bistrot bruxellois de la Place du Jeu de Balle. Il est là pour parler de son nouvel album, Toutes directions (lire critique page 35). « J’habite toujours le même appartement mais le quartier a changé, comme ma vie: l’environnement s’est boboïsé et j’ai eu une petite fille, je suis un père tardif.  » Là, il porte veston, écharpe-foulard et larges montures de lunettes tendance chiraquiennes. On est quelques semaines avant les présidentielles françaises, sujet tsunami de la médiatisation de printemps:  » Je me suis toujours intéressé à la politique mais je regarde les choses d’un £il plus technique. Chaque camp a choisi les meilleurs candidats possibles, Hollande est un mec très construit; Sarkozy, malgré ses défauts, l’est aussi. Mais en France, tout le monde semble accablé, on espère de vrais changements. En tant qu’artiste, je ne me sens absolument pas dans une tour d’ivoire, je me sens concerné. » BB ne fait pas pour autant dans la chanson « engagée », même si sur le nouveau disque, un titre comme Dubaï My Love cerne assez bien le consumérisme frivole, sparadrap glamour sur le déficit de liberté à l’horizon des émirats (encore) friqués:  » Des hommes tombent des nuages/Sous les yeux de femmes sans visage. » Une éducation itinérante est passée par là. Le père, Jean-Yves Burgalat, gaulliste professionnel, déplace sa famille au gré de ses affectations: Landes, Morbihan, Haut-Rhin, Seine-Saint-Denis, Corse, Bourgogne. BB explore la France des années 60/70 sous la bannière du grand Charles puis de Pompidou:  » Je ne suis pas devenu anti-gaulliste mais ce qui reste de cette politique -Dominique de Villepin- incarne tout ce que je n’aime pas, le verbiage, « une certaine idée de la France ». Ce romantisme-là était déjà fini quand je grandissais et, aujourd’hui, il n’y a plus ni Yalta ni Guerre froide. « 

Quand il sort en 2000 son premier solo ( The Sssound Of Mmmusic), BB a déjà construit une carrière de producteur-arrangeur remarqué à l’international, pratiquant à titre égal arrangements léchés et interventions électroniques, néo-classicisme et remix, ces derniers pour des noms qui portent (Depeche Mode, Jamiroquai, Soul II Soul, Air). Fils naturel du Floyd et de Burt Bacharach passé à la rémoulade joyeuse du easy-listening, Burgalat est un homme multipistes. Amateur de variétés, il assume tout autant de produire un album d’Ingrid Caven -héroïne chez Fassbender- qu’une proposition névrotique de Michel Houellebecq, mini-Céline amateur d’esclandres sexuels.  » Tout cela n’aurait pas été possible sans la création en 1995 de mon label, Tricatel, même si financièrement, cela n’a pas toujours été une partie de plaisir. A un moment j’ai été sauvé de la faillite par la remise en ordre des comptes via un ami d’Ardisson. Mais je n’ai jamais cherché des investisseurs, ce n’est pas une boîte qui rapporte. D’ailleurs, les salaires vont aux deux employés, je ne me paie pas, Tricatel est mon instrument de travail, c’est de l’abus de biens sociaux inversé (rires) . » BB a sorti sur son label une quarantaine d’albums très variés, y compris les siens. Le nouveau a été en majeure partie bouclé dans le studio aménagé dans sa maison des Pyrénées:  » Un petit village entre Toulouse et Tarbes, j’y descends seul par tranches de dix ou quinze jours, je fais mes courses au super U local et je travaille cent heures par semaine. Quand j’enregistrais là-bas, j’avais l’impression de tromper ma femme (Vanessa Seward, styliste, ndlr) et je me demandais parfois à quoi cela servait de faire encore un autre disque alors que les ventes ne vont sans doute pas dépasser 4 ou 5000 exemplaires. »

Le démineur

BB s’est longtemps battu contre l’industrie du disque, chic David indé vs Rocky Corporate, mais la désagrégation des ventes physiques l’a changé. « Je n’ai plus l’impression d’être stigmatisé comme petit vendeur, puisque même la FNAC pratique des plans sociaux (sourire). Un album doit être sincère, même si je ne me vois pas adouber chaque mot: certaines phrases peuvent garder un mystère. » La sincérité comme passeport identitaire?  » Je ne suis pas un personnage », rétorque Burgalat:  » Je n’ai rien élaboré ou dés-élaboré(sic). Des gens comme Katerine ou Sébastien Tellier ont consciemment construit une image; certains, comme Brigitte Fontaine, se sont retrouvés piégés par ça. Quand je choisis mes habits le matin, c’est seulement pour me sentir bien dans ma peau: je sais que le succès peut être anesthésiant, tout comme la confidentialité. Sur cet album, j’ai voulu être plus concis, mettre en retrait ma tendance au labyrinthe. J’ai tenté une forme de pureté et je suis content d’avoir eu l’impression de progresser, de me sentir plus serein. » Pas besoin de boule de cristal pour reconnaître le sujet de Double peine, troisième plage de Toutes directions: « On m’appelle l’amuseur/Le désabusé/Je suis le démineur des manèges enchantés (…) Je suis le fantassin de vos frivolités. »

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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