DRAME SUFFOCANT, JOE, LE NOUVEAU FILM DE DAVID GORDON GREEN, EST ADAPTÉ D’UN ROMAN DE FEU LARRY BROWN. MANIÈRE, POUR LE RÉALISATEUR DE PINEAPPLE EXPRESS, DE RENOUER AVEC LE SUD, ET SES RACINES.

« Je n’ai pas à proprement parler de label, comme peuvent en avoir certains réalisateurs, John Ford, Alfred Hitchcock ou Wes Anderson. J’aime me frotter à différents types de films, et ne pas me sentir limité par une marque que j’aurais créée… » Et de fait, David Gordon Green a su, en une dizaine de longs métrages, se composer un profil multiple, lui dont la filmographie aligne aussi bien des drames indie pur jus -ainsi de George Washington, le film de ses débuts, en 2000-, que des comédies potaches hollywoodiennes, comme l’hilarant Pineapple Express, tourné quelques années plus tard pour l’écurie Apatow. Venant après le réjouissant Prince Avalanche, et le curieux duo qu’y composaient Paul Rudd et Emile Hirsch, Joe (lire critique page 24) plonge, pour sa part, dans ce Sud où le réalisateur a ses racines: originaire de Little Rock, Arkansas, Green a ensuite établi ses quartiers à Austin, Texas, là-même où il a tourné le film, adapté d’un roman de Larry Brown. Et à peine a-t-on entamé la conversation téléphonique qu’il en évoque la résonance intime: « J’ai connu Larry de son vivant (écrivain originaire du Mississippi, auteur également de Sale boulot, Larry Brown est décédé en 2004, ndlr). J’étais assistant de production sur The Rough South of Larry Brown, un documentaire réalisé par Gary Hawkins, un de mes profs à l’université de Caroline du Nord. Après la mort de Larry, Gary m’a envoyé un scénario qu’il avait tiré de Joe. L’écriture de Larry m’avait toujours attiré, et ce roman tout particulièrement. J’ai pensé que ce serait là lui rendre un bel hommage, tout en caressant l’espoir d’initier un nouveau public à son travail. »

Inscrite dans la mémoire du Sud, l’histoire, qui entrecroise les destins de Joe, un homme au lourd passé en quête de rédemption, et de Gary, un garçon de quinze ans aux perspectives incertaines, a aussi une qualité intemporelle: « A mes yeux, le film a quelque chose d’un western contemporain, avec des éléments de genre, tout en recelant quelque chose de très vrai. Les personnages sont tous basés sur des individus que connaissait Larry, et le gamin n’est autre que Larry lui-même. Mais cette histoire s’applique encore aujourd’hui, à la culture perdue du Sud américain et à cette communauté appauvrie, avec beaucoup de violence rampante, fort importante par ici. Il ne viendrait pas à l’esprit de la plupart des gens de tourner un film à ce sujet, mais en ce qui me concerne, j’avais envie, à côté de projets hollywoodiens, de maintenir un équilibre, et de parler de choses plus personnelles. »

Un acteur sans peur

Pour incarner cette communauté, et afin d’accroître le sentiment d’authenticité, David Gordon Green a fait appel à des acteurs du cru, non professionnels pour la plupart. Le shériff est ainsi interprété par son voisin; quant au père de Gary, il en avait confié le rôle à un sans-abri, disparu quelques semaines après le tournage. A leurs côtés, le jeune Tye Sheridan, venu en droite ligne du cinéma de Terrence Malick, mais aussi Nicolas Cage. « J’avais la conviction qu’il conviendrait à ce rôle. Je voulais le filmer de façon naturaliste, sans qu’il joue la star. Je lui ai écrit, il est venu me voir à Austin, je lui ai montré certains décors, on a discuté, et au bout d’un moment, il a dit: « OK, let’s do it… » Cela n’a pas été plus difficile que cela. Je pense que le sujet lui parlait, et le roman également, il est d’ailleurs devenu un grand fan de Larry Brown. » La greffe a, en tout état de cause, pris au-delà de toute espérance, Cage signant ici sa prestation la plus convaincante depuis une éternité –Bringing Out the Dead, peut-être. Au point de paraître se réinventer sous les yeux du spectateur. « Nic aime déjouer les attentes du public, tout comme il aime relever des défis comme acteur. Il est fort curieux, et veut toujours essayer quelque chose de nouveau, de différent. Il prend son boulot fort au sérieux, et transmet une grande énergie. C’est un acteur sans peur: le genre à insister pour tourner avec un serpent venimeux dans une scène, par exemple« , explique le réalisateur, admiratif.

Son prochain film, Manglehorn, se situant à nouveau au Texas, la question se pose de savoir si David Gordon Green a définitivement tourné le dos à Hollywood pour le Lone Star State. « J’espère pouvoir continuer à aller de l’un à l’autre. Des projets comme Joe ou Prince Avalanche sont beaucoup plus personnels, et ne répondent pas aux mêmes standards commerciaux que mes films hollywoodiens. Je les fais à ma mode, pour moi et pour ceux qui pourront trouver à s’y identifier personnellement, et je trouve cela fort gratifiant. J’aime travailler de la sorte, tout en sachant qu’il s’agit de films que tout le monde n’aura pas envie d’aller voir. » Et de vanter les mérites de Austin, la ville où semble battre le coeur du cinéma indépendant américain, il est vrai, elle qui accueille encore les Terrence Malick, Richard Linklater et autre Jeff Nichols, parmi d’autres: « Il y a une super communauté de cinéma, à Austin, et j’aimerais avoir la possibilité d’y tourner plus de films. Nous sommes amis pour la plupart, et nous soutenons mutuellement. Pour ce film, par exemple, j’ai fait appel à Tye Sheridan, qui jouait dans The Tree of Life de Terrence Malick, et à Kay Epperson, que j’avais vue dans Bernie, de Richard Linklater. Nous travaillons avec les mêmes équipes, partageons des expériences et des histoires, assistons aux premières les uns des autres, on se voit à SXSW. Il est toujours agréable d’avoir des gens qui reconnaissent votre voix, et savent d’où vous venez… »

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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