LES GANTOIS DE MADENSUYU SORTENT DU BOIS ET DE LEUR TORPEUR POUR PUBLIER UN TROISIÈME ALBUM, STABAT MATER, DÉDIÉ AU COURAGE DE NOS MÈRES. AMEN.

Cinq ans. C’est le temps, interminable, qu’il aura fallu aux secs, tendus et nerveux Madensuyu, minés par les plans foireux et une industrie du disque à côté de la plaque, pour offrir un successeur à D is Done et accoucher de leur troisième album, Stabat Mater (lire critique page 31). A la table d’un troquet de Gand, leur fief, Stijn De Gezelle et Pieterjan Vervondel se souviennent. Ils racontent les expériences déprimantes, les coups de blues, la lassitude… « On a été confrontés à la logique actuelle du secteur de la musique, totalement obnubilé par le marketing, explique Stijn. Tu arrives avec tes tripes, le résultat d’heures et d’heures de travail et tu t’entends dire: « C’est quoi l’histoire? Il y a un travesti dans le groupe? Désolé, vous êtes belges. Votre parcours n’est pas assez spectaculaire. On n’arrivera jamais à vous vendre. ». »

Le guitariste et chanteur a eu du mal à l’avaler. Il a même tout envoyé bouler pendant un an. « De toute façon, si tu n’as pas l’entourage qu’il faut, une base solide sous les pieds, tu n’as aucune chance à l’international dans l’industrie du disque aujourd’hui. » Pieterjan, l’immense batteur, qui comme lui travaille dans le bâtiment, en remet une couche. Le sourire du souvenir au coin des lèvres. « A un moment, on a monté une petite tournée en Angleterre. Comme le disque n’y était pas distribué, on a rempli une valise entière de merchandising qu’on a trimballée partout. Un jour, un type me demande combien coûte le CD, déplore qu’il n’a pas assez de fric sur lui. Je le lui ai cédé pour une livre et c’est le seul album qu’on a vendu. »

L’envie, la confiance, la musique sont réapparus d’eux-mêmes. Comme un besoin. Le besoin impérieux de créer. « Pendant que Stijn doutait, ça n’a pas été facile pour moi, reconnaît Pieterjan. Mais je savais que c’était momentané. J’ai continué à aller à la salle de répétition. On a une cheminée. J’allais y faire du feu et y jouer de la batterie plusieurs fois par semaine. En réécoutant ces sessions que j’enregistrais, on peut m’entendre m’invectiver.  »

Homemade

Les deux Gantois de Madensuyu (ça signifie « eau pétillante naturelle » en turc) n’ont pas attendu le succès des White Stripes et de Two Gallants pour former un duo guitare/batterie. Stijn et Pieterjan jouent ensemble depuis 1992. A l’époque, la mère du premier conduit tous les jours les deux ados en voiture à l’école Don Bosco de Zwijnaarde. Stijn joue les DJ’s. Tape des cassettes dans l’autoradio. Sonic Youth succède aux Pixies, Ministry à Beethoven… Quand il achète une guitare, il se met à harceler son pote pour qu’il se paie une batterie et arrête de frapper sur des chaises et des casseroles.

« Je voulais à la fois dédier ce troisième album à ma mère et mêler ce que nous faisions à la musique classique, résume Stijn. Quand j’étais gamin et que maman jouait du piano, je m’asseyais sous son instrument. Je regardais ses pieds bouger. Ces scènes m’ont durablement marqué. Encore maintenant, la seule chose qui me calme et m’apaise, c’est le classique. Avec ce Stabat Mater, j’ai voulu lui rendre une partie de ce qu’elle m’avait donné. Et créer un pont entre deux styles qui me parlent. » Excité à l’idée de jouer avec les formes et la tradition, Madensuyu s’est inscrit dans une logique de progression plus que dans la sempiternelle dynamique couplets/refrains… « Le White Light/White Heat du Velvet Underground est à la fois basé sur le blues et le classique. Le groupe de Lou Reed s’est donné la liberté de prendre son temps, de jouer sur les tempos. Ce fut un disque très important pour moi. J’ai beaucoup de mal avec l’idée qu’après tant et tant d’années, on maintienne encore toutes ces petites boîtes et catégories. Je crois au dialogue des styles. »

Le voyage de Madensuyu au Brésil en 2010 a lui aussi profondément marqué Stabat Mater. Les Flandriens se sont retrouvés à jouer devant 15 000 personnes au Rec-Beat Festival à Recife en plein carnaval. « Ma pédale Moog déconnait, se souvient Stijn. Je paniquais. Et puis on fait la connaissance d’une fille qui me dit qu’elle va résoudre mon problème. On jouait dix minutes plus tard. J’étais super anxieux. Elle monte sur scène, commence des espèces d’incantations et nous encourage à penser positivement. Moi, je me disais surtout: « Fuck off. Je ne monterai pas sur ce putain de podium. » Quand on a commencé à jouer, on a réalisé qu’on était au Brésil. Le pouvoir du vaudou. »

Plus décisive encore est leur visite dans un petit village où différentes tribus viennent demander à un maître de cérémonie la permission de rejoindre le carnaval. « Les rythmes Maracatu et les chants ancestraux, cette énergie, cette manière agressive de raconter leur histoire, on a voulu les insuffler à notre disque.  »

Dès ses démos dans lesquelles il glissait du béton et de la sciure de bois, le duo a voulu faire de ses sorties quelque chose de spécial. L’EP Adjust We contenait de l’acier. A Field Between de la fibre optique. Et D is Done une espèce de résistance électrique… Stabat Mater a un artwork en bois. « Une référence à la croix de Jesus. » On passe avec le tandem chez Fisheye, une boîte gantoise qui a conçu des décors pour la VRT, la BBC ou encore Sioen… Le tandem doit y récupérer des lettres qu’il passera son après-midi à coller sur des panneaux pour sa promo. Puis s’en va chercher ses CD fraîchement emballés. Do it yourself, quand tu nous tiens…

LE 28/11 À L’AB, LE 29/11 AU HANDELSBEURS (GAND), LE 06/12 AU 4AD (DIKSMUIDE).

RENCONTRE Julien Broquet

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