DANS MY WEEK WITH MARILYN, MICHELLE WILLIAMS INCARNE UNE STUPÉFIANTE MARILYN MONROE, ÉVOLUANT À L’UNISSON DU TROUBLE GÉNÉRÉ PAR UNE ICÔNE SOUVENT IMITÉE, RAREMENT ÉGALÉE…

A propos de Marilyn Monroe, Norman Mailer a écrit:  » Peut-être savait-elle mieux que quiconque qu’elle était le dernier mythe à prospérer dans le long crépuscule du rêve américain« , là où un Jerome Charyn lui donnera de la  » dernière déesse« . Et, partant, objet d’un culte fervent, entretenu à grand renfort de reproductions plus ou moins heureuses. S’agissant de celle dont Mailer, toujours, disait:  » Elle était notre ange, l’ange délicieux du sexe et, tout le miel du sexe émanait d’elle comme un son du grain le plus fin d’un violon« , on n’oserait parler d’images pieuses, quoique.

Dernière en date, Michelle Williams qui, dans My Week with Marilyn, curieux film de Simon Curtis ( critique en page 30), incarne Marilyn Monroe le temps d’une parenthèse que cette dernière aurait voulue enchantée; un épisode emprunté au tournage de The Prince and the Showgirl, qu’elle s’en alla tourner en Angleterre en 1956, aux côtés de Laurence Olivier, croyant y trouver un surcroît de crédibilité. Williams, qui, de Brokeback Mountain en Blue Valentine, n’en finit plus d’illuminer le cinéma américain de sa grâce discrète, accomplit là un véritable tour de force. Plutôt que de s’époumoner à courir vainement après un mimétisme n’existant de toute manière pas, l’actrice réussit à capter quelque chose de l’essence même de Marilyn. Pour évoluer à l’unisson de ce trouble désarmant qui, autant qu’une sensualité ravageuse, aura contribué à faire de celle-là une icône absolue, dont le mystère et la beauté allaient être figés pour l’éternité dans la nuit du 4 au 5 août 1962.

Le mythe, elles sont nombreuses à s’y être frottées avant Michelle Williams, avec un inégal bonheur, faut-il le préciser. Célébré depuis Jean Harlow, le culte de la blonde platine atteint avec Norma Jeane Baker, devenue Marilyn, des proportions alors inconnues.  » Gentlemen Prefer Blondes« , peut affirmer, sans risque de se tromper, un Howard Hawks, et l’Amérique des fifties de se pâmer à sa suite, à la vision de ce fantasme scintillant au firmament hollywoodien. Si la Fox enferme sa star dans des rôles qui feront son succès autant que son désespoir, la machine à rêves entend aussi faire fructifier ce capital, en en multipliant les avatars. Jayne Mansfield est l’un d’eux, bombe sexuelle à propos de laquelle Ciné Revue titra, en décembre 56:  » La fille qui fait comprendre le péché originel. » Et dont un simple coup d’£il à The Girl Can’t Help It de Frank Tashlin suffit à rappeler qu’elle avait de percutants arguments personnels à faire valoir; le genre, ajouté à un délicieux sens de la comédie, à faire fondre la glace et dégoupiller les bouteilles de lait sur son seul passage, ce que Little Richard résumait d’une sentence sans appel: She’s Got It.

Il y en eut d’autres, aux fortunes diverses, les Carroll Baker et Mamie Van Doren, engagées qui par la Warner, qui par la Universal, pour être les Marilyn de service (la Fox, pour sa part, s’assurera les services de Sheree North, pour se prémunir, au cas où, des « absences » de la superstar). Sans même parler de Barbara Lang, Joi Lansing et autres blondes tout en formes et en celluloïd. Jusqu’à la Grande-Bretagne qui se laisserait gagner par la fièvre, à charge pour Diana Dors de devenir « the British Marilyn », ce qu’elle allait faire avec un incontestable aplomb, promenant ses rondeurs agressives au gré d’une filmographie serpentant de Value for Money à The Unholy Wife, et qui allait l’emmener à tourner aussi pour Skolimowski ( Deep End), et même Jacques Demy ( The Pied Piper of Hamelin).

Initiales MM

Sans surprise, la disparition prématurée de Marilyn, à 36 ans et au faîte de sa gloire, ne fera que renforcer le mythe. Aux copies plus ou moins conformes succéderont sur les écrans les imitations plus ou moins réussies. Misty Rowe, Linda Kerridge, Constance Forslund, Kattie La Bourdette, Catherine Hicks, Phoebe Legere, Paula Lane, Arlene Lorre, Stéphanie Anderson, Poppy Montgomery, Charlotte Sullivan, Meredith Patterson, et même Ashley Judd et Mira Sorvino pour un téléfilm, Norma Jean & Marilyn…: la liste de celles ayant incarné le temps d’un épisode de série, d’une évocation ou d’un long métrage Marilyn Monroe suffit à donner le tournis. C’est même devenu un job à plein temps pour une Susan Griffiths, MM dans un chapelet de films et séries depuis 1983 et The American Snitch et jusqu’à The Defenders 27 ans plus tard, non sans avoir au passage incarné la star de Some Like It Hot pour Quentin Tarantino dans Pulp Fiction.

Dont acte: le rayonnement d’une Marilyn fut tel qu’il y a là une manne à fantasmes et à répliques pratiquement inépuisable. Ce qu’avait fort bien compris un Andy Warhol qui, à compter de son Diptyque Marilyn, en 1962, multiplia les reproductions de l’icône, produisant de la MM en séri(graphi)e, de Marilyn Monroe’s Lips à sa Marilyn Turquoise. Et tant qu’à faire de Marilyn un objet de consommation, la pub allait s’en emparer elle aussi, en de multiples déclinaisons -on a ainsi vu Scarlett Johansson s’afficher, plus Marilyn que nature, pour les besoins de Dolce et Gabbana, et l’on n’a certes pas oublié comment Carole Bouquet se transformait en icelle pour Chanel N°5.

Une onde hantée

Du reste, 50 ans après sa mort, Marilyn semble plus présente que jamais: phénomène d’édition bénéficiant d’un recadrage sensible de son profil, de Fragments en Confession inachevée. Et motif indélébile d’un 7e art qui s’emploie à en célébrer l’aura à défaut de pouvoir en percer le mystère. C’est Harmony Korine qui, dans Mister Lonely, convie l’actrice, personnifiée par Samantha Morton, à un étrange ballet de sosies dans un château écossais -il y a là aussi ceux de Michael Jackson, Charlie Chaplin ou Madonna-, pour un film excentrique d’où émane une mélancolie profonde. Ou encore Gérald Hustache-Mathieu qui envoie celle qui fut la star la plus hot de Hollywood dans le bled le plus froid de France, Mouthe, pour un Poupoupidou bien nommé. Et de mettre en scène le tragique destin de Candice Lec£ur, belle de Franche-Comté s’étant projetée au-delà du raisonnable en Norma Jeane, en un jeu de miroirs déformants rendu plus fascinant encore par l’expression de Sophie Quinton. Jusqu’à Im Sang-soo qui, dans le vénéneux The Housemaid, nous propose le remake halluciné du Happy Birthday qu’entonna un soir Marilyn pour JFK -du Madison Square Garden à un jardin coréen, une même onde, hantée.

Michelle Williams y ajoute, dans My Week with Marilyn, une présence habitée, quelque part entre tristesse insondable et promesse d’apaisement. A l’instar de son modèle d’un film, quelques plans suffisent pour que son aura déborde du cadre étroit de l’écran pour parler à l’imaginaire de chaque spectateur, clone et icône confondus, pour le coup et poupoupidou… l

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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