DE PABLO BERGER. AVEC MARIBEL VERDU, DANIEL GIMÉNEZ CACHO, MACARENA GARCIA. 1 H 44. SORTIE: 10/04.

A l’origine de Blancanieves, le second long métrage de Pablo Berger, on trouve ce qui ressemble à un fantasme de cinéma, convoquant tout à la fois le souvenir des contes et les codes du muet, en une proposition aussi improbable qu’insolite a priori. Soit donc l’histoire de Blanche-Neige, que le réalisateur espagnol choisit de transposer dans l’Andalousie des années 20, tout en renouant avec l’esthétique d’alors et un noir et blanc ensorcelant, pour signer un drame sans paroles, mais certes pas dénué d’émotions.

Ce monde étrange et merveilleux, le spectateur y pénètre au son de l’ample musique d’Alfonso de Vilallonga, qui résonne comme une invitation à l’exacerbation des sens comme des sentiments. Et l’action de se déployer à la suite dans son cadre sévillan. C’est là, en effet, que naît Carmencita (Sofia Oria), fille d’une chanteuse de flamenco (Inma Cuesta) et d’un matador (Daniel Giménez Cacho). Ces deux-là s’aimaient passionnément et plus encore; le destin a toutefois eu la main très lourde, qui a provoqué la mort de la mère en couches, alors qu’un accident laissait le père paralysé en plus d’être muré dans sa douleur. Et si une infirmière (Maribel Verdu) le prend bientôt en charge, sa vraie nature ne tardera pas à se révéler, qui la verra se transformer en marâtre au coeur aussi sec que ses desseins n’étaient sombres, une fois la fillette également confiée à ses soins. Confrontée à ces circonstances tragiques, il faudra à cette dernière trouver la force de survivre. Et même de tenter de se réinventer, sous les traits d’une accorte jeune fille (Macarena Garcia).

Relecture singulière du conte des frères Grimm, Blancanieves l’envisage sous l’angle du pur mélodrame -la fable est cruelle, en effet (même si parsemée d’épisodes cocasses et débordant de fantaisie)-, qui s’écrit dans un lit de douleur, pour vibrer d’une intensité proprement bouleversante, transcendée par la force des regards et des expressions, le tout, porté à incandescence par des acteurs mag(nif)iques. Farouchement émouvant, le récit est aussi lumineux, qui renoue avec la pureté du cinéma des origines, de Murnau à Borzage, et au-delà, jusqu’au Tod Browning de Freaks, que l’épisode des nains toreros évoque forcément.

Mais s’il y a là un brillant exercice de style, doublé d’une éclatante réussite formelle, le film de Pablo Berger ne saurait être tenu que pour un simple hommage, tout maîtrisé soit-il. Ainsi revisitée, l’histoire de Blanche-Neige témoigne d’un imaginaire aussi original qu’aventureux. Mieux même, bien que retranscrite avec bonheur dans le contexte de l’Espagne des années 20, elle semble se soustraire à toute temporalité objective pour tendre à l’expérience sensorielle générique, en une perspective d’une troublante modernité. Touchée par la grâce, irradiant d’une folle poésie, cette Blancanieves constitue, aux côtés du Tabu du Portugais Miguel Gomes, le choc esthétique de ce début d’année. Un pur et irrésistible enchantement.

J.-F. PL.

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