FONDÉS IL Y A 34 ANS, LES SWANS INCARNENT TOUJOURS EN 2016 UN ROCK NOIR, RADICAL, VIOLENT, INCANTATOIRE ET PHYSIQUE QUI A LE GOÛT DU GROS SON ET DE LA CONFRONTATION. ALORS QUE SORT THE GLOWING MAN, DERNIER ALBUM DU GROUPE DANS SA FORMULE ACTUELLE, SON LEADER MICHAEL GIRA SE LIVRE SANS TABOU.

Précédé de quelques minutes par un cameraman qui réalise un documentaire sur ses Swans, l’immense Michael Gira descend son visage buriné, son bouc blanc et son chapeau de cowboy par les escaliers… Il a beau avoir un look de dur à cuire, sa musique sonner toujours aussi bruyante et radicale, le cerveau des Swans et fondateur du label Young God Records est un interlocuteur cultivé, adorable et doux qui n’élude aucune question, se souvient volontiers de son enfance, toute chaotique fût-elle, et dévoile les aspirations d’un musicien intransigeant de 62 ans.

The Glowing Man est le dernier album des Swans dans leur configuration actuelle…

J’en ai décidé ainsi pendant notre dernière tournée. Nous sommes encore bien vivants et nous avons enregistré un disque me semble-t-il intéressant. Mais être dans un groupe, enregistrer des albums et passer sa vie ensemble sur les routes, c’est à un certain moment comme manger trop de gâteau. Tu as ta dose, l’impression d’en avoir fait le tour. Je veux continuer Swans mais je ne sais pas quel visage lui donner. J’impliquerai peut-être l’un ou l’autre membre actuel mais je ferai les choses différemment. Nous avions pris l’habitude de beaucoup tourner et de développer les chansons en concert ou lors de nos soundchecks. Ces moments particuliers durant lesquels elles grandissaient jusqu’à devenir ces longues plages que tu connais (le nouvel album dure pratiquement deux heures, NDLR). On avançait ensemble et elles devenaient au bout de 18 mois de tournée ces drôles de créatures. Cette méthode implique pas mal d’improvisation dans le sens où on suit le son, où on improvise à l’intérieur. Désormais, je compte écrire les morceaux et rassembler des musiciens pour les enregistrer.

Vous décriviez il y a quelques mois ce disque comme un croisement entre Ben Hur et Ran

Ce n’était qu’une blague. J’aurais aussi pu dire Mary Poppins mais j’adore Kurosawa. Mon film préféré, je ne l’ai jamais vu sur grand écran, mais c’est Dersou Ouzala. Une oeuvre splendide, historique, tragique… On parle d’un artiste sensationnel. D’un incroyable réalisateur aussi étourdissant dans les drames psychologiques que les films à grand spectacle ou les oeuvres sentimentales.

Vous êtes aussi fan de von Trier. Il vous ressemble quelque part dans son approche radicale de l’art et son refus des concessions…

J’aime beaucoup Lars von Trier. Il réfuterait sans doute ce que je raconte mais il poursuit une quête spirituelle. Certains de ses films sont d’une incroyable empathie pour les personnages. Breaking the Waves est formidable. Melancholia aussi, avec son côté très cosmique. Je n’ai par contre pas aimé Nymphomaniac. Je ne l’ai même pas regardé jusqu’au bout. J’ai aussi été déçu par Love de Gaspar Noé.

Quelle relation entretenez-vous avec la religion?

Je m’intéresse à la quête spirituelle mais je ne crois pas littéralement les décrets. Ce qui me botte, c’est la tentative de trouver l’union avec Dieu et le divin plus que le comportement et les prescriptions d’un ordre. Je vois beaucoup de valeurs et de similarités dans le mysticisme chrétien et le bouddhisme. Lis The Cloud of Unknowing qui a été écrit au XIVe siècle par un moine catholique à son acolyte pour lui apprendre la manière correcte de voir Dieu, la dévotion et la prière, tu comprendras ce que je veux dire.

Qu’est-ce qui vous avait poussé à réactiver les Swans il y a six ans maintenant?

J’avais passé douze ans à la tête d’Angels of Light mais ce projet ne me suffisait et ne m’excitait plus. J’ai relancé les Swans parce que je sentais que notre histoire pouvait avoir une suite et que notre esthétique n’était pas figée. C’était à la fois quelque chose d’égoïste et un acte d’amour. Je me suis dit qu’avant de mourir, je voulais me retrouver à nouveau au centre de cette tornade tourbillonnante de son. Si tu as déjà pris du LSD, c’est un peu comme quand tu le sens pénétrer les molécules de ton cerveau. Ou alors le moment, quand tu fais l’amour, où tu te perds totalement. La musique est unique dans l’instant. Quand tu peux t’y abandonner complètement, c’est comme une séance de méditation réussie.

Quel genre d’artiste vous procure ces sensations en tant qu’auditeur?

J’ai écouté sans arrêt les deux premiers albums des Doors mais j’ai commencé le LSD très jeune. Je ne sais donc pas si c’était dû à la musique ou aux drogues que je consommais. En termes de performance, le concert de Glenn Branca dont j’ai été le témoin quand j’ai bougé pour la première fois à New York a provoqué des effets assez similaires. Un peu comme le décollage d’un avion. Je suis arrivé en ville en juillet 1979. C’était un endroit excitant. Difficile mais artistiquement excitant.

Vous avez beaucoup voyagé en Europe dans les années 60. Vous avez même passé votre seizième anniversaire dans une prison israélienne…

C’était horrible. Le genre de situation à laquelle un jeune garçon ne devrait jamais être confronté. On m’a placé dans une prison pour adultes. Je me souviens surtout y avoir réalisé que la chose la plus importante que tu possèdes en tant qu’être humain, c’est le temps. Il n’est jamais vraiment là mais c’est ce que tu as de plus précieux. Quand tu es confiné quelque part, il s’écoule très lentement et tu comprends ce qu’il représente vraiment.

Vous avez connu une enfance mouvementée…

Je vivais en Californie. J’étais un sale gamin. Je prenais de la came avant même mes douze ans. Je n’allais pas à l’école. Je cambriolais des maisons et commettais des actes de vandalisme. Ma mère était alcoolique. Elle ne prenait pas du tout soin de nous et mon père était parti. J’ai été arrêté à plusieurs reprises pour vandalisme et pour stupéfiants. Et la dernière fois où les flics m’ont chopé, j’avais beaucoup sur moi. Ils ont dit qu’ils m’enfermeraient dans une prison d’État jusqu’à mes 18 ans à moins que mon père, qui était businessman, ne me prenne en charge. J’avais treize piges à l’époque. Il est venu me chercher pour m’emmener à Indiana où il construisait une usine. Puis, il m’a embarqué avec lui pour l’Europe et je me suis sauvé en autostop. J’avais quatorze ou quinze ans. Mon père voulait m’envoyer dans une école privée. J’ai dit: « No way. » Il m’a répondu: « D’accord. Alors, tu travailles dans cette usine en Allemagne. » Il croyait que je tiendrais un mois avant de le supplier de rentrer dans cet établissement scolaire. Mais je suis resté et, après quasiment un an, il a débarqué et m’a dit: « Putain, maintenant, tu vas à l’école. » C’est là que j’ai fugué à nouveau et que je me suis retrouvé à Istanbul avec des vieux hippies.

La musique vous a sauvé la vie?

Je ne sais pas. Quand je suis rentré aux États-Unis, j’ai été à l’école dans le sud de la Californie. C’était ridicule après tout ce que j’avais vécu. Alors, je l’ai quittée. J’ai bossé pendant un bout de temps dans la construction. Comme assistant couvreur. Je n’aimais pas ça et j’ai pris des cours du soir. J’ai terminé mes secondaires comme plombier avant de faire des études supérieures en art. La première forme artistique à laquelle je me suis frotté, c’était le dessin mais en 1976, 1977, quand le punk a éclaté, j’ai trouvé ça beaucoup plus attirant et je me suis mis à faire de la musique.

Vous jouez extrêmement fort. Comment gérez-vous les limites sonores souvent imposées?

On les ignore mais on ne pourra bientôt plus. Tout devient tellement réglementé partout. Or, notre musique n’existe pas sans niveau sonore. On ne peut pas jouer calmement. Le son qu’on veut, c’est ce qui arrive quand le volume est élevé. Ce n’est pas une question d’agressivité. C’est une question de son, d’être à l’intérieur de ce son. En France, on a obtenu des autorisations spéciales.

Vous avez découvert Devendra Banhart et Akron/Family. Vous vous souvenez de la première fois où vous les avez entendus?

Devendra avait tourné avec mon ex-femme. Il en assurait la première partie et elle ne pouvait croire qu’il possédait une aussi fabuleuse voix. Elle a acheté une cassette, me l’a ramenée à la maison et j’ai vraiment été bluffé. Je lui ai écrit une longue lettre. Je l’ai convaincu de déménager à New York et d’être sur notre label. Akron/Family m’a envoyé beaucoup de démos. Il y avait un truc mais ce n’était pas encore tout à fait ça pour moi. Je leur disais ce que j’en pensais, je les encourageais et ils ont fini par me faire parvenir quelque chose que je trouvais plus abouti. La première fois où je suis allé les voir, on devait être dix dans la salle.

La chanson When Will I Return sur votre nouvel album a été écrite pour votre compagne Jennifer…

Elle a vécu cette terrible expérience (une agression et tentative de viol sur un parking, NDLR) et continue d’en subir les conséquences. Un jour, j’étais assis dans mon bureau et je l’ai entendue en bas dans la cuisine. Elle n’avait pas été bien la veille. J’ai alors écrit cette chanson comme un cadeau. Je voulais que ce soit elle qui la chante.

Vous avez été accusé de viol par Larkin Grimm (sur les réseaux sociaux mais pas devant les tribunaux). Ce morceau sonne pratiquement comme une réponse…

Alors qu’il a été écrit un an auparavant. Ce ne sont que des mensonges. Un gros tas de conneries. Ça serait drôle si ce n’était si horrible. C’est tellement à l’opposé de la réalité. Ça m’aurait amusé si ça n’avait blessé à ce point ma famille. La vérité sortira et triomphera. Pas mal de gens ont déjà compris. Je ne sais pas faire grand-chose en fait. Excepté partager mon amour à travers la musique et ne pas répliquer. Parce que quand tu commences à te livrer à une guerre sur Internet, ça devient vraiment dégueulasse. Je n’ai plus su réfléchir pendant trois semaines. C’était affreux. Tu te lèves un matin et il y a ce monstre partout sur la planète. Retrouver le fil de mes idées a pris du temps. J’ai fait une déclaration simple et non combative. C’est tout ce que je pouvais me permettre. Parce que dans le cas contraire, elle aurait répliqué. Et peu importe ce qu’il s’est passé. Il y aura toujours des gens pour la croire. Ça ne sert à rien de débattre et d’argumenter.

Pas de poursuites judiciaires?

C’est tellement cher aux États-Unis. C’est une possibilité bien sûr. Mais est-ce que je veux risquer tout ce que je possède? Dans des tas d’interviews qu’elle a données à l’époque, même après qu’elle ait quitté le label, elle parlait très positivement de moi. Pourquoi a-t-elle décidé de mentir? Je préfère te laisser en juger. Elle a toujours été excentrique mais je n’imaginais pas le genre de comportement monstrueux qu’elle avait en elle. Je pourrais la décrire comme quelqu’un de mentalement dérangé mais alors j’attaquerais la victime même si elle n’en est pas une. Tout ce que je peux faire donc, c’est rester positif et prendre du plaisir avec ma musique.

LE 06/10 AU BOTANIQUE.

LIRE LA CRITIQUE DE THE GLOWING MAN PAGE 27.

RENCONTRE Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content