Big deal

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après le triomphe international de No Deal, et l’EP Blackened Cities, Melanie De Biasio poursuit sa quête d’une chanson charbonneuse. BLUFFANT.

Melanie De Biasio

« Lilies »

Distribué par Pias. En concert les 17 et 18/12, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

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En interview, Melanie De Biasio ne cesse de le répéter: quand il s’agit de musique, les silences sont au moins aussi importants que les notes elles-mêmes. C’est particulièrement vrai pour ses propres morceaux. En l’occurrence, des rêveries jazz qui n’aiment rien tant que de se lover au creux de la nuit, précisément au moment où l’obscurité permet à chaque son de se détacher.

C’était en gros la proposition de No Deal, sorti en 2013, succédant à un premier essai, A Stomach Is Burning, publié six ans plus tôt. C’est peu dire qu’il fit forte impression. Ici comme à l’international. Melanie De Biasio a-t-elle eu peur à un moment qu’autant de lumière, soudainement portée sur sa musique, ne la dénature? L’an dernier, la Carolo sortait Blackened Cities. Soit un EP constitué d’un seul morceau de près de… 25 minutes, errance musicale fascinante improvisée avec ses musiciens fétiches. Celle-ci avait beau n’avoir qu’un seul défaut -se terminer encore trop vite-, le geste représentait, pour le coup, sinon une tentative de suicide commercial, en tout cas une farouche déclaration d’indépendance.

Un an plus tard, le nouveau Lilies revient à des dispositions plus « conventionnelles ». Neuf morceaux au programme, dont le plus long –All My Worlds– n’atteint même pas les sept minutes. On aurait tort pourtant de penser que le disque s’oppose à son prédécesseur. Gold Junkies, premier single issu de Lilies, reprend d’ailleurs symboliquement la première strophe de Blackened Cities « Blackened Cities/Rumble/Strangers strowl/And lovers stumble ». En réalité, si le format a changé, la « ruée vers l’or » de Melanie De Biasio est restée identique: une quête de la texture parfaite, du mot qui sonne juste, de l’intention qui se fait transparente.

Avec Lilies, De Biasio s’en approche encore un peu plus, creusant toujours plus profond ses obsessions: l’amour qui dérape, les sentiments qui s’étiolent, la difficulté à être aux autres, l’impossibilité de naviguer seul… Dix ans après un premier essai, elle propose par exemple une nouvelle version de Let Me Love You, où la patine jazz cède la place à une texture plus électronique. Même chose pour la reprise d’Afro Blue, qui s’éloigne de Coltrane pour se rapprocher toujours plus de l’idiome new wave. Un penchant gothique qu’assument pleinement la plainte All My Worlds ou encore le fantomatique And My Heart Goes On.

L’étiquette jazz, puisqu’il en faut bien une, tient toujours. Mais, comme c’était déjà le cas sur No Deal, elle sert de plus en plus de terme générique. Un tiroir fourre-tout où l’on trouve aussi bien un blues-gospel acapella (Sitting In The Stairwell) qu’une ballade fifties à la Peggy Lee (Brother). Épaulée par le fidèle Pascal Paulus, Melanie De Biasio maîtrise son sujet comme rarement auparavant, capable par exemple de ne jamais vraiment démarrer un morceau (Lilies), le laissant s’évanouir dans un murmure. De manière cocasse, l’album en lui-même démarre par le morceau intitulé Your Freedom Is The End Of Me. En l’occurrence, chez De Biasio, la liberté sonne au contraire comme le début de toute chose.

Laurent Hoebrechts

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