à l’occasion de la sortie de Toy Story 3, le réalisateur Lee Unkrich nous a ouvert les portes des studios Pixar, à Emeryville. Suivez le guide…

Pour le fan d’animation, pénétrer dans les studios Pixar, c’est un peu comme s’inviter dans un immense magasin de jouets. Aussi l’ambiance planant dans le bus qui amène un petit groupe de journalistes du centre de San Francisco à Emeryville, à quelques encablures de Oakland, est-elle gentiment potache, vaguement réminiscente de celle pouvant régner dans une cour de récré. Le vaste portail du 1200 Park Avenue à peine franchi, et l’on se retrouve dans un environnement familier -la lampe de bureau des génériques maison est là, dans un format géant, alors que le vaste atrium des studios accueille des reproductions à taille humaine de divers héros Pixar, ceux qui, de Woody le cow-boy et Buzz l’Eclair aux personnages de Monsters & Cie sans oublier les modèles de Cars, ont bouleversé le paysage de l’animation.

La malédiction du 3

Voilà 10 ans que Pixar a emménagé dans ces quartiers, passant dans le même temps de 600 à 1200 employés. Et si, stranger from the outside!, suivant la mention humoristique figurant sur le badge reçu à l’entrée, l’on est aujourd’hui admis dans le saint des saints, c’est parce que le studio s’apprête à inonder les écrans du monde entier de Toy Story, troisième du nom ( lire notre critique en page 34). Quinze ans après un premier épisode ayant consacré l’avènement de l’animation par ordinateur, et 11 ans après un second volet ayant repoussé les limites de ce qui semblait techniquement réalisable – « Vers l’infini et au-delà », s’exclamerait Buzz l’Eclair-, dire que ce film est fort attendu relève de l’euphémisme. Ce qui n’a pas l’heur de faire trembler Lee Unkrich, le réalisateur: « Nous avons essayé de faire mentir l’adage voulant qu’un titre de film accolé d’un 3 soit frappé de malédiction », confiera-t-il.

Pour l’heure, et histoire d’être plongé d’entrée de jeu au c£ur de l’action, on en est à apprécier l’immense maison de poupées aménagée dans l’atrium -la demeure de Ken, le partenaire de Barbie, et l’une des nouvelles stars du film. Un bureau, une kitchenette, des tringles et des fringues à n’en plus finir, rien n’a été laissé au hasard, de toute évidence. Ce que confirme une rapide visite des studios, entamée par le Upper East Side, allée où ont été disposés des croquis, esquisses et sculptures permettant de mesurer le chemin parcouru en 15 ans de progrès techniques. Avec aussi ce que cela suppose comme problèmes, et notamment le fait d’avoir dû recréer tous les modèles, Buzz et Woody compris, afin de les rendre compatibles avec le software d’aujourd’hui.

Ces ajustements, on en a bientôt l’illustration sur écran. Dans l’une des 2 petites salles de projection attenantes au théâtre principal, superbe avec ses quelque 250 sièges et sa voûte s’illuminant d’étoiles, dont certaines filantes, au moment de lancer le film, Lee Unkrich procède à la démonstration des changements apportés. « Au départ, nous ne pouvions tout simplement pas rouvrir les anciens dossiers des différents personnages, explique-t-il. Il a fallu les refaire, avec des petites adaptations, techniquement irréalisables à l’époque. » La comparaison entre Woody époque Toy Story et Woody époque Toy Story 3 est à cet égard on ne peut plus éloquente. A peine discernables dans le feu de la projection, les modifications sont pourtant innombrables, qu’il s’agisse des plis à la commissure des lèvres, ou encore des coutures de ses vêtements . « Il fallait être au niveau de la qualité visuelle de nos derniers films, tout en restant fidèles aux originaux », résume le réalisateur. Autant dire une gageure, relevée avec le sourire, au prix de 4 ans de travail acharné cela dit.

Philosophie maison

On touche là à la philosophie Pixar, que pratique Unkrich depuis 1994, date de son entrée dans la société de John Lasseter, où il a depuis officié aux postes les plus divers -monteur sur Toy Story, A bug’s life, Cars et Ratatouille; co-réalisateur sur Toy Story 2, Monsters, Inc. et Finding Nemo; seul aux commandes, enfin, pour ce nouveau film. « Tout le monde est tellement passionné que si on les laissait faire, les gens travailleraient 7 jours par semaine et 24 heures par jour », expose-t-il. Ce qui n’est peut-être pas tellement éloigné de la vérité, attendu qu’il règne aussi à l’évidence un stimulant esprit d’entreprise, entretenu en diverses circonstances, qu’il s’agisse d’un festival de musique réunissant les groupes des employés ou de cette institution que sont les concours de costumes. Sans parler d’un mode de fonctionnement où le cloisonnement n’a pas cours – « on est convaincus que chacun n’a pas un talent unique, mais au moins 2 ou 3, voire plus », explique une collaboratrice- mais l’échange d’idées bien. C’est par exemple lors d’un de ces brainstormings qu’il a été décidé que le Buzz l’Eclair de Toy Story 3 parlerait, à l’occasion, espagnol. « Je pense que c’est Andrew Stanton (réalisateur, entre autres, de Wall-E, ndlr) qui en a eu l’idée lors de l’une de nos réunions de groupe. Après, chacun jauge cette idée, et réfléchit à la manière de la faire fonctionner et de l’améliorer. C’est ainsi qu’est venu s’y greffer le fait que Buzz se comporte tout à fait différemment, comme s’il avait une nouvelle personnalité, ajoutant à celle qu’on lui connaissait une sorte de latin lover, qui commence à révéler son attrait pour Jessie… « , raconte Lee Unkrich. Là n’est pas la seule nouveauté de ce Toy Story, qui rend à Barbie son Ken ( lire par ailleurs), en sus d’introduire une série de seconds rôles. D’autres apports tiennent, pour leur part, à la texture même d’un film qui, plus que les épisodes précédents sans doute, fait le pari de l’action. « Je considère cela comme un compliment, assure le réalisateur. Plus que la technologie, c’est l’histoire qui dicte le résultat. Nous voulons, sans qu’il y ait pour autant d’effort conscient en ce sens au moment de l’écriture, produire une gamme d’émotions variées, que les gens ressentent différentes choses. »

S’ouvrant sur une scène digne d’un western-spaghetti – « après avoir entamé le 2 dans l’univers de Buzz, il nous semblait juste de commencer celui-ci dans le monde de Woody », Toy Story 3 charrie ensuite des émotions multiples, faisant planer sur les jouets la menace d’une séparation alors qu’Andy s’apprête à partir à l’université. « Tant d’années s’étaient passées depuis le 2 que cela semblait le moment idéal où situer l’histoire. Si, à la fin de Toy Story 2, les jouets avaient accepté qu’Andy allait grandir un jour, nous savons tous qu’il y a une différence entre accepter quelque chose et y être confronté. Il nous semblait qu’il y avait là un maximum de résonance émotionnelle. » Avec, à la clé, quelques scènes particulièrement intenses: « J’ai voulu respecter la psyché des jouets. Quoi de plus stressant pour eux, que de se voir privés de la possibilité de jouer avec un enfant, ou d’être aimés de l’un d’eux? Le climax du film est émotionnellement intense, mais les projections nous ont montré que les adultes n’en ont pas la même perception que les enfants. Notre vécu intervient également. »

Le pari du 3 relevé, se pose inévitablement la question d’un quatrième épisode. « Si une bonne histoire s’impose, pourquoi pas?, observe Jason Katz, story supervisor. Ici, il s’agissait d’en terminer une: si l’on considère les 3 films, c’est un peu comme si on avait une seule grande histoire. Et au-delà… »« Il n’y a pas de plan », précise pour sa part Lee Unkrich, en guise de conclusion. En terrasse, quelques membres du personnel dégustent un verre de vin. Plus loin, d’autres s’adonnent à une séance collective d’aérobic. La culture d’entreprise peut parfois trouver des expressions inattendues… l

Texte Jean-François Pluijgers, à San Francisco

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