Benjamin Monti

"En face de mes dessins, tu peux te demander s'il s'agit d'un original ou d'une image imprimée. Ça peut perturber le regard. Parfois, on s'y perd."

Entre dessin, narration graphique et travail plastique, le Liégeois Benjamin Monti, passionné d’images imprimées, sort de sa coquille et de ses fanzines pour envahir les murs de ses expositions et faire un livre de ses ruptures.

Il y a beaucoup de choses à voir dans la petite mais remarquable exposition organisée par Annabelle Dupret au « Maga » de la Part du Feu à Saint-Gilles, autour des artistes qu’elle met à l’honneur dans sa revue Or Bor: des originaux incandescents de feu Alex Barbier, des gravures pleine de sens et d’esthétisme d’Olivier Deprez, beaucoup de compositions et de dessins marqués par la fragmentation et le goût de l’hybridation, entre narration graphique et art contemporain, et puis surtout -on ne voit que lui en arrivant- un mur. Quelques mètres de haut, un peu plus d’un de large, mais entièrement recouvert de dessins originaux et d’images imprimées (avec Benjamin Monti, on ne sait jamais vraiment), le tout déchiré, coupé, collé, photocopié, agrandi, recopié, tramé… Seulement du noir et blanc, une tête de chef indien reproduite à diverses échelles  » pour finir, tout en haut, avec un focus sur son oeil, presque une trame« , des paysages,  » et d’abord beaucoup d’images archétypales, issues de revues populaires, d’encyclopédies, de leçons de choses, de bibles ou de livres illustrés ». « Ici c’est un extrait de La Science en s’amusant , poursuit-il , là ce sont des dessins de Castelli, qui fut l’illustrateur attitré de la Comtesse de Ségur, et puis des gravures, beaucoup. Dans mon travail, il y a toujours l’importance du noir et blanc, de l’image imprimée, avec une hybridation des images, des associations d’idées, des choses que je redessine moi-même très méticuleusement. En face de mes dessins, tu peux te demander s’il s’agit d’un original ou d’une image imprimée. Ça peut perturber le regard. Parfois, on s’y perd. C’est entre autres ce que je recherche. » Le tout avec un sens aigu de la volatilité.  » Ça fait deux ans à peu près que je fais des interventions de ce genre, directement sur les murs des espaces d’exposition dans lesquels j’interviens. Je joue avec l’architecture des lieux, les intentions, le regard qui change en fonction de sa position face à l’installation. Mais ça dure le temps de l’exposition, et puis c’est détruit. » Comme ce sera le cas ici dans quelques jours, comme ce le fut déjà au Musée des Beaux-Arts de Tournai il y a quelques semaines, et comme ce sera le cas après son exposition-installation, encore plus monumentale, qu’il finit de préparer/coller dans un pop up store du quartier du Sablon, investi par sa galeriste liégeoise Nadja Vilenne, le temps de l’événement Art Brussels.

Un goût un peu masochiste de l’éphémère donc. Qu’à cela ne tienne, Annabelle Dupret, responsable de la maison d’édition Images, a décidé, presque contre le gré de l’intéressé, de publier des fragments de Rupture, un ambitieux travail autobiographique très expérimental, encore proche de la bande dessinée. Benjamin Monti l’avait publié en fanzines épars et à petits tirages, il y a plus de quinze ans.  » Les pages et dessins qui constituent Rupture tenaient pour une grande part sur des feuilles volantes, n’étaient que partiellement rassemblés… Volatile, déjà. » Annabelle Dupret tenait beaucoup à ce livre, également constitué d’un essai de Jean-Charles Andrieu de Levis sur le travail de Benjamin Monti.  » J’ai découvert Benjamin vers 2006, se rappelle-t-elle , juste quelques cases qui avaient été publiées dans Le Coup de grâce , un ouvrage collectif à La Cinquième Couche. Très marquée par ses planches, puis touchée par lui, son attitude: au milieu d’un vernissage, plutôt que de socialiser, il dessinait quelque chose de très singulier en tout petit dans son carnet. Il y a dans Rupture quelque chose de l’ordre de la confidence, et dans sa connaissance archéologique de l’image, quelque chose qui pourtant parle encore au présent. »

Benjamin Monti

Ce goût de l’image imprimée et cette connaissance quasi encyclopédique, qui fait de lui une figure incontournable du petit monde de la BD alternative belge, ne viennent évidemment pas de nulle part.  » Mes parents tenaient une librairie de livres anciens, à Liège, surtout des XVIIIe et XIX siècles. J’ai beaucoup traîné avec eux dans le magasin, dans les brocantes, chez les antiquaires, avec cette culture de la chine. » Une pièce parmi d’autres au puzzle de sa passion pour les images et des rapports qu’elles entretiennent avec le texte.  » La langue française était très présente dans ma famille, mais j’ai eu beaucoup de mal à apprendre à lire et à écrire, j’avais beaucoup de dyslexie. J’ai sans doute souffert de ça, c’était très castrateur. » Un écueil qui le mène rapidement vers la bande dessinée expérimentale, nourrie par les cours du soir qu’il suit depuis l’âge de quatorze ans auprès de Joe G. Pinelli.  » C’est là que j’ai rencontré la bande de Mycose, le fanzine collectif avec lequel j’ai beaucoup travaillé. J’ai dû publier des centaines de fanzines et de graph-zines, personnels ou collectifs, et je ne tourne pas du tout le dos au livre: j’aurai toujours un travail graphique très proche de l’édition, toujours en lien avec la chose imprimée. »

Rupture, de Benjamin Monti, éditions Images/ La Cinquième Couche, 136 pages.

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Antécédents multiples, exposition collective jusqu’au 29/05, à La Part du Feu, Saint-Gilles.

Exposition Benjamin Monti et Jacques Lizène, jusqu’au 13/06 dans le cadre d’Art Brussels, à la Pop Up Gallery, 18 rue Ernest Allard, Bruxelles.

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