QUAND 3 « VÉTÉRANS » AYANT BOURLINGUÉ D’ARNO À MACHIAVEL S’ASSOCIENT À UN INCENDIAIRE CHANTEUR BRITISH DE BRUXELLES, CELA DONNE THE TAILORS OF PANAMA ET UN 1ER ALBUM IMPRESSIONNANT, ATOMISÉ ENTRE BLUES ET METAL…

En sortant de scène du Brussels Summer Festival, Lenny n’a plus vraiment d’autre couleur que celle de la damnation. S’il était Jésus -mais il est anglais, pas palestinien-, on accrocherait son costard gris trempé dans la collection des Saint-Suaire rock. Lenny Monkeybrain (surprise, c’est un patronyme), 37 ans, est le chanteur des Tailors Of Panama, groupe fusillant toute monotonie d’une hargne profonde. On pense aux Stooges -les Tailors font une version crédible d’ I Wanna Be Your Dog-, Jimmy Page pour les guitares mercuriales, Bowie pour la prod parfumée, le reste évoquant les plombages sans caries de Queens Of The Stone Age. Si l’album démine les frontières ( cf. critique en page 35), là, on se contente de regarder le chanteur éreinté, ses cheveux rouges virant au noir, dépossédé des plaisirs fugaces de l’électricité. Avec ses maniérismes pop et ses grognements blues -plus une façon d’appeler les émotions qu’un alluvion du Delta-, la performance live des Tailors est un cabaret métallique, traversé d’évocations de  » surhommes« , de  » loups en costumes cravates« , de grondements sociaux, de malaises avoués.  » Nos chansons parlent de l’acceptation des normes, des couleurs prises par la société, de schémas assez glauques, il est clair qu’on rejette tous les conformismes, même si l’écriture de départ est instinctive, spontanée, adepte du premier jet et peut-être aussi un brin surréaliste« , explique Lenny après le set. Pour peu, on en oublierait qu’ I Want You, l’une des bornes de l’album, kidnappe 2 articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour les placer sous perfusion de guitares abasourdies par leur propre acidité.

Ce qu’on aime chez les Tailors, c’est l’improbabilité statistique qui agrandit les 4 parts au-delà de la simple unité mathématique. Chimie des particules. Celle d’un Anglais né en Belgique, d’un guitariste quittant 30 ans de Machiavel (Thierry Plas) et de 2 grognards rythmiques affûtés, Jean-Pierre Onraedt et François Garny. En scène, Garny exhibe sa basse en totem grondant, alors que le beat ontologique d’Onraedt penche vers l’enclume sans le marteau. Sans doute le schéma Tailors n’est-il pas très « mode », pas celui de jeunes paons baladant leur £uf discographique du Belga au Bar du Matin avec la vanité vaporeuse des inventeurs d’eau chaude. Mais qu’importe. L’âge mature du capitaine -ils ont 37, 48, 52 et 61 piges-, on s’en fout: les Tailors éveillent quelque chose de guttural, de primate réfléchi, qui tient d’abord de la sincérité et de l’engagement. La phrase de Lenny,  » Je suis un très grand fan de musique« , est moins une énième génuflexion devant l’autel-vaudou du rock qu’une sorte de promesse folle faite à la vie.  » Pour moi, la musique ne sera jamais suffisante. J’adore être émerveillé par un groupe, par des gens qui m’inspirent« , dit-il après le concert du BSF, donnant l’impression contagieuse d’être lui-même plutôt inspirant.

Scène à tout prix

Début des années 2000, avec son frère Matthew -devenu le chanteur célébré de Puggy-, Lenny forme Slyde, formation avortant après une  » bonne démo ». Bossant comme réal et musicien dans la pub, éternelle vache à lait des musiciens, Lenny Irons rencontre Plas qui lui-même, parallèlement à Machiavel ou sa participation à Vaya Con Dios, compose des musiques en tous genres, comme celle du Pavillon belge à la dernière Expo universelle de Shanghai. Avec ses faux airs de Ronnie Wood, Plas est moins une projection de guitar hero qu’un musicien global -il est l’un des instigateurs de Belgavox et une centrale de riffs redistribués selon des schémas complexes:  » Sur l’album, il y a parfois 4 guitares physiques. En scène, on pourrait avoir 80 % d’effets supplémentaires, envoyer des ch£urs, des synthés (préenregistrés), mais on considère que la performance doit faire la différence.  » Plas connaît Garny et Onraedt depuis une vingtaine d’années, jouant avec ce dernier dans l’éphémère The Responsibles au mitan des années 90. A 3, ils ont même tenté  » comme ça » une audition commune pour Admiral Freebee avant de sentir que le moment était venu de créer une entité propre, et de préférence singulière. Lenny, rencontré en début de millénaire, y amène toute sa passion albionne, et l’envie commune aux 3 autres  » de tout recommencer à zéro ». Et ce, après avoir enregistré en 2007  » 20 titres inspirés de Front 242 (…) avec Luc Van Acker ». La scène est définitivement leur amie, même si Plas n’y est pas encore intégralement libéré de ses contraintes techniques. Le contraste est beau à voir entre lui, Onraedt, le batteur le plus efficacement discret depuis Charlie Watts, Lenny, grimpant, éructant, chantant les yeux fermés, et François, torse nu et cordes grondantes. Une tournée belge est prévue début 2012. D’ici là, beaucoup de choses peuvent arriver. Suspense, comme dirait John Le Carré dont les Tailors ont choisi un bouquin comme nom de groupe… l

TEXTE PHILIPPE CORNET

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