ENREGISTRÉ AVEC BEN HILLIER (BLUR, DEPECHE MODE) DU CÔTÉ DE BRIGHTON, THIN WALLS EST BÂTI POUR OUVRIR À BALTHAZAR LES PORTES DE L’ANGLETERRE. KNOCK, KNOCK…

Londres. Fin janvier. Vu l’accueil, chaleureux comme de coutume, réservé par l’industrie anglaise du disque et du concert aux artistes, c’est dans le froid, devant les portes du Village Underground, une salle au look industriel de Shoreditch où ils étrenneront dans la soirée leurs nouvelles chansons en cette Pias Nites british, que l’on taille une première fois la causette avec les Flandriens de Balthazar. Si le groupe courtraisien s’en est allé enregistrer Thin Walls, troisième album réussi et efficace dont le single « joy divisionesque » donne une fausse idée, dans le petit village de Lewes, près de Brighton, avec Ben Hillier (Blur, Depeche Mode, Elbow, Clinic…) avant de se faire mixer par Jason Cox (Gorillaz, Massive Attack), le Royaume-Uni constitue aussi le prochain territoire à annexer dans la conquête irrésistible de ce qui est devenu depuis un bout de temps déjà le groupe belge le plus exportable.

« Thin Walls est important pour nous en Angleterre, reconnaît le chanteur et guitariste Jinte Deprez. Nous y entamerons d’ailleurs notre tournée. Notre premier album, Applause, n’y était pas sorti. Et Rats était peu adapté à un marché hype et compliqué qui nécessite des passages en radio si l’on veut vraiment s’y imposer. » « En principe, on ne devrait pas entendre trop de différences entre les applaudissements réservés à nos anciens et à nos nouveaux morceaux« , sourit la violoniste Patricia Vanneste. Jusque-là, Balthazar n’a joué que dans des salles de maximum 400 personnes en Angleterre. L’accueil est poli. Le public curieux.

Un mois plus tard, journée promo dans les bâtiments de Pias. Jinte Deprez est cette fois accompagné de l’autre chanteur, guitariste et songwriter du groupe flamand. Le grand Maarten Devoldere, pour l’occasion en train de se griller une clope, affalé sur le bord de la fenêtre…

En quoi le marché anglais est-il si particulier pour un groupe comme le vôtre?

Maarten et Jinte: La Grande-Bretagne possède une histoire musicale incroyable et a enfanté un tas de grands groupes. Il y a donc un côté affectif et symbolique dans cette histoire. Mais il faut aussi réaliser que le centre de l’industrie du disque en Europe se situe à Londres et que ça conditionne l’intérêt que d’autres pays finissent par te porter. S’imposer sur le marché britannique n’est pas un but en soi. Disons qu’on aimerait bien, sans que ça nous empêche de dormir. On apprécie d’y jouer parce qu’on doit être des pitbulls pour y survivre. Balthazar ne sonne pas particulièrement british. Il a une touche un peu française, un peu scandinave, un peu américaine aussi… Les Belges n’ont pas vraiment de tradition musicale qui leur est propre. Ils mélangent tout. Et comme les Anglais sont un peu chauvins, c’est pas gagné d’avance.

Quoi qu’il en soit, le moment semble opportun…

Jinte: Nous sommes très fiers de ne pas sonner comme un groupe anglais de plus mais ce n’est peut-être pas une bonne chose. En tout cas, ce disque, notre album le plus direct, est sans doute aussi le plus adapté à l’Angleterre. Rats était trop continental. Avec des morceaux et des arrangements subtils. Or, pour les radios anglaises, si tu ne vas pas droit au but, tu n’as aucune chance ou presque.

Le succès de Rats a changé quelque chose au moment de vous mettre à bosser sur son successeur?

Jinte: Nous ne sommes pas très sensibles à la pression et nous n’avons pas non plus vraiment commencé à travailler sur ce disque. En fait, nous n’avons jamais arrêté d’écrire des chansons. Nous nous sommes d’ailleurs au final retrouvés avec 273 démos entre les mains. La plupart sont nées en cinq minutes entre deux concerts. Nous n’avons pas conservé les morceaux les plus compliqués… Nous avons enregistré un disque intuitif qui vient du bide et des tripes.

Un disque lié à la vie en tournée, à la promiscuité. Vous en avez souffert? Vous êtes des loups solitaires?

Maarten: Disons que nous apprécions comme tout le monde un minimum d’intimité et que, quand tu tournes, tu en as peu. Mais tu finis pas te trouver des endroits, des moments où te retrouver seul avec toi-même. J’ai écrit pas mal de chansons par exemple dans les toilettes très étroites de notre tour bus. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile mais ça marche.

Jinte: Au début, tu es comme une bande de gamins qui partent en voyage scolaire et veulent tout faire ensemble. Ensuite, tu finis par t’arranger pour que chacun puisse respirer. Ça n’a pas été évident tout le temps d’écrire sur la route. Cependant, quand on est rentrés à la maison, on avait des chansons. On avait fait quelque chose d’utile. Si nous n’avions pas agi de la sorte, nous aurions mis un an de plus avant de pouvoir sortir notre troisième album.

Maarten: L’intimité n’est pas nécessairement liée à la promiscuité physique. C’est quelque chose qui tient davantage de l’esprit que du corps. Ce n’est pas parce que tu partages la même nourriture tous les jours, que tu vois les autres autour de toi tout le temps, que tu ne peux pas avoir ton petit monde. Les soldats dans les sous-marins ont sans doute davantage de secrets les uns pour les autres que tous ces gens qui postent leur vie sur Facebook et les réseaux sociaux.

Vous avez écrit beaucoup de chansons avec la gueule de bois?

Maarten: Oui. Enfin, non. Tourner te donne l’impression d’être quelque part toujours bourré. Ou plutôt de te promener dans une sorte de bulle. Tu vis en dehors de la société dans une espèce de cirque que tu t’es fabriqué. C’est pas tant une question d’être plein. Tu bois tellement que tu t’y habitues. Mais tu n’as jamais l’esprit complètement clair.

Les réactions, les humeurs, n’en semblent que plus extrêmes…

Jinte: Oui et ça rend les choses plus faciles. Parce que le pire ennemi du songwriting, c’est de ne pas être assez naïf pour croire qu’en 2015, après 60 ans de pop music, tu peux encore faire quelque chose de beau avec les accords les plus basiques qui soient.

Vous avez aussi bossé sur ce disque dans un monastère?

Jinte et Maarten: A un moment, nous traînions tellement sur les routes que nous avons arrêté de louer des appartements pour gagner un peu d’argent. Un pote qui vivait dans un monastère vide devenu une espèce de squat à Gand nous a invités à y rester dormir quand nous étions en Belgique. Tu avais un long corridor avec un tas de petites chambres juste garnies d’un lit et d’un bureau où les nonnes passaient jadis la nuit. Les murs étaient tellement fins qu’on pouvait entendre ce qu’il se passait dans la chambre d’à côté. C’était vraiment quelques jours par-ci par-là. On n’y a pas vécu d’expérience mystique. On aurait peut-être pour ça dû s’y installer pendant deux mois… Mais il s’agissait d’un environnement extrêmement sobre. Sans tentation ni distraction. Notre seul récréation, c’était d’aller jouer nos morceaux fraîchement terminés sur le grand orgue de la chapelle.

Vous pourriez dire quelle chanson a été écrite après quel concert?

Jinte: Non. Pas du tout. Ça fait un peu cliché mais il arrive souvent que tu te réveilles dans le bus ou que tu débarques quelque part sans savoir dans quel pays tu es. Notre tour manager nous fait répéter avant chaque concert: « Vous êtes où? Paris. Vous êtes où? Paris. » Alors dire où les chansons ont été écrites, tu t’imagines bien que c’est fort compliqué. Ce n’est pas non plus comme si ce disque était un journal de tournée.

Que vous ont apporté Ben Hillier et Jason Cox?

Jinte: Ce n’est pas comme s’ils avaient apposé leur signature sonore au disque. Nous avons conservé notre identité (la basse lourde, le son classe, les voix à tomber, ndlr). Mais ils nous ont permis de nous concentrer sur la musique en nous débarrassant de tous les aspects un peu nerdy et techniques qu’on avait dû gérer sur nos deux premiers disques. Ben, dont j’aimais le travail sur le Think Tank de Blur, appréciait ce qu’on faisait. Il n’a pas essayé de nous métamorphoser.

En quoi Thin Walls est selon vous meilleur que Rats?

Maarten: Le songwriting est plus fort. Je parle ici de l’essence des chansons. Tu t’en rends compte quand tu les joues à la guitare acoustique. J’aime leur côté plus sauvage aussi. Même si c’est un disque de Balthazar. Nous ne sommes pas devenus les Stooges.

Jinte: Sur Applause et Rats, tout était dans les extras: la production, un beat hip hop, les cuivres, l’atmosphère avec le violon ou je ne sais quoi d’autre. Thin Walls est plus mystérieux. Certains titres reposent sur deux accords. Deux putains d’accords: si ça, ce n’est pas a priori inintéressant… Pourtant, quand je les écoute, ils m’emportent. Des math rockeurs trouveraient ce disque idiot. Trop simple. Moi, il me touche. C’est la première fois que les chansons gardent leur mystère après que je les ai écrites. Je ne compare pas. Jamais je n’oserais. Mais elles me font penser à des trucs de Johnny Cash. Si simples et si mystérieux à la fois. Devenir un virtuose, tu peux l’apprendre ou du moins t’en approcher avec du temps et des efforts. Mais jouer une note et faire couler les larmes, ça ne s’explique pas…

BALTHAZAR, THIN WALLS, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

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LE 14/05 AU CIRQUE ROYAL, LE 26/06 À ROCK WERCHTER, LE 11/07 AU CACTUS, LE 12/07 AUX ARDENTES ET LE 01/08 AU RONQUIÈRES FESTIVAL…

RENCONTRE Julien Broquet

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