Encore un album d’Arno ? Pour quoi faire ? Peut-être pour entendre sur Brussld la BO de la capitale. Une ville où les mélanges ne sont pas forcément angéliques, regrette l’Ostendais de la rue Dansaert.

Le journaliste rencontre le sujet depuis 1976. D’abord en amateur. En mars de cette année-là, il le voit dans son duo blues du terroir avec Tjens Couter à Forest National et rate son interro de maths le lendemain. A partir de 1984, le journaliste interviewe le sujet à de nombreuses reprises, lors d’une mémorable descente de vodka à Uccle (pour un livre), dans un studio à Nashville ou à la Mer du Nord (pour un doc), le plus souvent, dans la gueule de la nuit bruxelloise que le sujet ne cesse de prendre dans ses bras. En scène seulement, l’artiste tend à être lui-même: le sujet y inventant par exemple le cocktail belge, bière d’Abbaye flandrienne mixé pékèt. Ailleurs, le sujet joue à l’artiste idiot-marrant qui se casse au milieu d’un plateau de télé français ( » je dois pisser hein… « ) et réinvente sans cesse sa propre bio, parlant, par exemple, de son frère architecte en  » médecin travaillant sur le sida ». Derrière ce vaudeville menteur un peu répétitif, il y a un instinctif de la survie: celui du sujet qui a arrêté de fumer il y a 2 ou 3 ans, capable de se bourrer de thé. Ou d’aspirine, l’homme étant aussi un rien hypocondriaque, masquant d’ailleurs sa vie privée dans un théâtre sans répit de shows expressionnistes et de conquêtes de mademoiselles en tous genres. La seule fois où le journaliste l’a vu en colère, c’est quand il lui a parlé de sa collaboration avec Live Nation, encore appelé Clear Channel(1). C’était en 2005 et le sujet avait alors bredouillé d’inattendues insultes devant la caméra, le journaliste laissant pisser (à son tour) et diffusant le bazar comme tel à la télé. Le lendemain de l’émission le sujet avait appelé le journaliste en lui demandant s’il  » était fier en se regardant dans la glace le matin », avait lancé quelques phrases de fausse colère et conclu sur un  » bon, je vais baiser maintenant ». Confirmant son talent de grand guignol pour les petits malentendus. Début mars 2010, on retrouve le sujet parlant du nouvel album qui aborde Bruxelles et ses citoyens, ses malaises, ses fractures sociales. Il ne le dit pas tout de suite, mais on comprend que l’expérience vient partiellement de sa propre vie privée et de ses 2 fils qui vivent la ville inténsément, un ado qui l’accompagne parfois en tournée et un jeune adulte, qui a d’ailleurs emménagé juste à côté de chez lui.

Ce disque renoue en partie avec le son cru de TC Matic. On imagine que la présence de ton « ami de 30 ans », Serge Feys, claviériste, co-compositeur et co-producteur de Brussld, n’y est pas étrangère.

Oui, c’est notre héritage, c’est le cccccchon(2) de Serge et moi de 30 ans. Sans faire des années 80 parce que j’en ai marre de cela. Serge et moi, on ne travaille pas ensemble, on fait de la musique ensemble. Dans son studio, dans le quartier des putes près de la gare d’Ostende, on fait une chanson en 4 heures… D’ailleurs quand je pisse à Bruxelles, Ostende est mouillée.

C’est prétentieux!

Mais non, Ostende ce n’est pas loin, en train, une heure et quart. C’est une ville avec une piscine qui a des bateaux en-dedans. Là, récemment, j’y suis allé avec des Américains qui vont faire un film sur la vie de Marvin Gaye, et ils ne voyaient pas la différence entre Bruxelles et Ostende qui ont d’ailleurs été faites par un seul mec: Léopold II. On a les mêmes rues, les mêmes noms, avenue Rogier, Place Rogier. A Ostende, il y a aussi 3 langues: ostendais, français et anglais.

C’est le thème de l’album: le multi-culturalisme!

Oui, mais Bruxelles, c’est plus multi-truc qu’il y a 10 ans. Bruxelles a beaucoup changé, ce n’est plus le Bruxelles à la papa. C’est le centre de la Belgique mais sans l’Europe, Bruxelles n’existe pas. La violence a toujours été présente ici, c’est une maladie des grandes villes. Il y a un problème avec les allochtones et je ne parle pas comme les socialistes hein! Il y a plus de socialisme chez une coiffeuse que chez les socialistes ( sic). On vit dans une crise mondiale, Babylone is falling, certains métiers disparaissent et on vit ici avec une majorité d’allochtones à Molenbeek ou Schaerbeek, je ne parle pas d’Uccle. Eux font encore des enfants qui naissent et grandissent ici: on dit que l’éducation est gratuite mais comment une famille avec 5 enfants peut-elle payer les vacances de ski de l’école? Donc, on met les gens dans le même quartier et on crée des ghettos comme dans les banlieues de Paris. Et je ne suis pas d’accord avec la violence des bandes parce que la rue est à tout le monde! Il faut laisser les gens manger des sandwichs au jambon ou du couscous. Et le racisme est partout, chez les Africains, les Arabes et les Blancs!

Mais quand tu fais ton projet Stoemp à Ostende ou à Couleur Café avec des musiciens de tous horizons, c’est quand même une façon de dire que tout est possible…

Oui, il y a avait des Marocains, des Tunisiens, des blacks, des Italiens: un mélange. Je constate seulement les choses, je ne peux pas les changer. On a déjà eu Band Aid ou Belgavox, d’autres initiatives, mais aujourd’hui, je me demande si cela sert! Je suis là pour faire de la musique, donner une larme et un sourire aux gens, mais je ne suis pas le Père Noël!

En Belgique, tu l’es pratiquement, tu es une institution!

Oui, mais qu’est-ce que je peux faire avec cela? Je vis depuis 60 ans avec moi-même et quand je me réveille, j’écoute mes propres sons.

Premier souvenir de Bruxelles?

A l’expo 58, je me suis perdu et j’ai passé toute l’après-midi avec une femme du Pavillon de l’Inde qui sentait le patchouli. J’ai encore son odeur dans le nez.

D’où ton lien avec les femmes?

J’ai été éduqué par ma mère et ses 2 s£urs. J’avais 24 ans quand ma mère est morte: maman m’a appris à être indépendant et à ne jamais me marier avant l’âge de 30 ans (rires). Bon, ce n’est pas comme si j’avais un tatouage d’elle, hein!

Non, mais tu as sans aucun doute un tatouage de la scène!

Je fais 150 concerts par an, c’est ma thérapie et physiquement, je suis accro à l’adrénaline que la scène procure. Quand j’arrête de tourner, je tombe dans un trou et avec l’âge, c’est de pire en pire. Je ne fais pas de jardinage, je n’ai pas de loisirs. Pour mon corps, il ne se passe plus rien: je fais des disques pour faire de la scène, je suis old school. Sinon, je traîne dans les bars et dans les rues et ce n’est pas bien pour moi. Sans la scène, je ne suis rien. Si j’arrête, je vais être malade. Le jour où je ne peux plus faire de concerts, bye bye Arno!

(1) société américaine ayant un rôle majeur -pour ne pas dire monopolistique- dans l’organisation des concerts rock en Belgique et dans plusieurs pays européens.

(2) il bégaye encore parfois…

En concert le 20 avril au Kursaal de Limbourg, www.spiritof66.be, et le 24 à La Panne, tournée belge en automne, www.arnohintjens.be

Rencontre Philippe Cornet / Photos Danny Willems

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