MALTAITE ET COLMAN RELÈVENT UN DÉFI PRESQUE oeDIPIEN EN MÊME TEMPS QUE LE HEAUME DU PLUS MYSTÉRIEUX MÉCHANT DE LA BD FRANCO-BELGE. UNE RÉUSSITE, TANT DANS L’ESPRIT QUE LA MANIÈRE.

On ne devient pas le patron de La Main Blanche, l’organisation criminelle la plus puissante et impitoyable du monde, sans en avoir bavé. Cette évidence, vérifiée auprès de tous les grands bad guys du divertissement, de Darth Vador aux ennemis de James Bond, ne fut pourtant jamais exploitée par Will et Rosy, les inventeurs du personnage de Monsieur Choc, apparu en 1955 dans les pages de Spirou et les aventures de Tif & Tondu. Impossible pour l’époque et le lieu, voués à la fantaisie et au jeune public. « Mais Choc en lui-même n’a jamais été ni léger, ni naïf, tiennent à préciser les nouveaux auteurs de Choc, Eric Maltaite -le fils de Will- et Stéphane Colman, vieux amis de 40 ans. C’était déjà un personnage très noir, qui tue de sang-froid, avec ses caractéristiques: le mystère, l’élégance rigide, un certain faste, le goût de la théâtralité… La seule manière d’aborder Choc aujourd’hui, c’était de plonger dans l’âme obscure du personnage et d’essayer de la comprendre, pas de l’excuser. Et en 2014, on ne peut plus édulcorer les choses comme on était tenu de le faire il y a 60 ans. » Dont acte: Ce Choc-ci sera plus brutal et violent -on prévient les plus jeunes- puisqu’il explore sans fard le parcours d’une vie, menant un bambin tout mignon à devenir génie du mal. Tout en restant raccord avec l’esprit des deux auteurs et ayants droit originels, Will pour le graphisme et Maurice Rosy pour l’idée. Deux grands bonhommes de l’Histoire de la bande dessinée, disparus aujourd’hui, mais dont l’ombre plane toujours au-dessus de Choc et de ses réinventeurs.

Adoubement libérateur

De longues années durant, l’éventuel retour de Choc a alimenté conversations et projets, chez Dupuis, Glénat ou ailleurs. « Mais à chaque fois, toujours le même truc un peu imbécile, binaire: c’est un méchant donc il faut un bon, résume Maltaite, qui fut sollicité sur la plupart. L’envie pourtant était là: mon père, lorsqu’il a arrêté Tif & Tondu, n’avait qu’un regret, celui de ne plus utiliser Choc, et m’avait dit: « Si tu veux en faire quelque chose, vas-y. » Mais je ne voulais pas de ce qu’on me proposait, hors de question de faire les nouvelles aventures de Monsieur Choc. J’en ai parlé il y a quatre ans avec Stéphane, mon pote de toujours. » Ledit pote renchérit: « Moi-même, de mon côté, sans être au courant que des projets passaient, je m’étais imaginé ce que je pouvais faire avec Choc: j’ai toujours aimé les mauvais masqués. Et très vite, on a pris cette option osée: savoir qui est Choc et montrer son visage, avant du moins qu’il ne soit enfermé dans son heaume. »

L’adoubement des auteurs originels fut pour lui aussi le déclic nécessaire. « J’en ai parlé avec Maurice Rosy, à plusieurs reprises au téléphone. Et il fut, vraiment, très enthousiaste, malgré la dureté du récit. Heu, vous savez, il sera aussi morphinomane monsieur Rosy… Mais oui mais oui, allez-y, formidable! Détail important, dans une autre conversation, il m’a dit qu’il avait lui-même écrit une lettre, révélant l’identité de Choc, et qui ne devait être ouverte qu’après son décès. Mais il m’a dit: « Je détruis cette lettre, votre option prime sur la mienne. » Evidemment, il ne m’a jamais donné le contenu de cette lettre, sa version de Choc. »

Paradis perdu

Le premier volet, qui en comptera deux, et seulement deux, démarre donc en 1955 -peu avant la rencontre de Choc avec Tif le chauve et Tondu le barbu. Choc rachète un château qui va le plonger, et les lecteurs avec lui, dans les méandres de ses souvenirs: ceux d’un petit garçon prénommé Eden, fils d’une Française naïve et d’un soldat anglais traumatisé, échoué dans l’East London de Jack l’éventreur pour une longue suite de drames. L’excellent scénario de Colman ne serait rien sans un Maltaite au sommet de son art, certes influencé par son père et ses fameux amis, mais qui n’appartient qu’à lui, fusion unique de réalisme et de franco-belge « à la Spirou »: un grand retour pour un grand Choc.

CHOC (TOME 1), DE MALTAITE ET COLMAN, ÉDITIONS DUPUIS, 88 PAGES.

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TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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