A TRAVERS UN COFFRET, LE LABEL NOW-AGAIN RÉÉDITE 4 GROUPES DE MILITAIRES LAURÉATS DE CONCOURS INITIÉS PAR L’ARMÉE PENDANT LA GUERRE DU VIETNAM. QUAND LA POP ET LE ROCK SERVENT À ENTRETENIR LE MORAL DES TROUPES…

1971. Année politiquement turbulente. Alors qu’au Vietnam, les troupes US continuent de livrer l’une des batailles les plus marquantes du siècle dernier, qu’à Washington 500 000 Américains, hippies, vétérans et objecteurs de conscience se rassemblent pour dénoncer le conflit entamé en 64 et que Nixon s’efforce de mettre fin à l’engagement américain, des soldats se tiennent prêts en bases allemandes en attendant qu’on les envoie au combat. A leurs heures perdues, certains font de la musique. Comme les East of Underground, SOAP, The Black Seeds et The Sound Trek, aujourd’hui coffrés par le label Now-Again. East of underground: Hell Below est la réédition des albums sortis par les gagnants des First and Second Magnificent Special Services Entertainment Showband Contest. Concours musicaux initiés par l’armée et destinés aux militaires. Deux heures de funk, de soul, de pop enregistrées par des soldats américains. Des reprises de Curtis Mayfield, des Temptations, de Dionne Warwick, de Neil Young ou encore des Beatles… L’histoire de ces groupes, c’est aussi celle de la division divertissement de l’armée des Etats-Unis. Et un éclairage sur le rôle joué par les groupes militaires.

Flash-back.  » Je venais d’arriver en Allemagne. Je servais dans l’artillerie, se souvient le guitariste Lewis Hitt. J’avais déjà fait partie d’un groupe en Corée. En débarquant, je me suis donc précipité dans les bureaux des services spéciaux. Juste à côté de mon baraquement. Je jouais de la musique depuis l’âge de 15 ans. J’avais toujours adoré ça. Et je me suis fait embaucher par East of Underground. On répétait tous les jours. L’armée avait un matos incroyable.  »

Bingo. Hitt et ses petits compagnons partagent avec SOAP la première place (The Black Seeds et The Sound Trek sont les lauréats de l’année suivante). Leur prix? Un enregistrement professionnel dans le studio de l’AFN, l’American Forces Network, à Francfort.  » Ces événements permettaient de divertir et de booster les troupes. D’offrir à certains soldats l’occasion de s’exprimer et de se sentir bien, raconte Lewis Hitt. Ils donnaient aussi une image jeune de l’armée.  » Le double album est d’ailleurs distribué dans les centres de recrutement à travers les Etats-Unis tel un outil de propagande. Le concours est aussi pour les gagnants -c’est tout sauf anodin- l’opportunité d’échapper au front et au sud-est de l’Asie grâce à leur 2e récompense: une tournée des bases européennes. A l’époque, de nombreux soldats ont trouvé une petite amie voire une femme en Allemagne. Leurs aspirations ont changé…

Soul music paranoïaque

Pourquoi s’emballer sur des reprises? Qu’est-ce qui les rend si spéciales?  » Leur contexte, revendique Eothen « Egon » Alappat, fondateur du label Now-Again. En écoutant un disque, on entend aussi une histoire. Ces chansons témoignent d’une ère folle. Celle du Vietnam. De tous ces jeunes morts au combat. Puis elles ont été choisies avec beaucoup de finesse et font écho à ce que ces soldats vivaient. Cette espèce de soul music paranoïaque est intimement liée leur expérience.  »

Les morceaux n’avaient rien d’une marche patriotique. Certains étaient même du genre controversés.  » Ces chansons avaient une âme. Elles reflétaient l’Amérique de l’époque (les sentiments de résistance de la contre-culture), les questions raciales… Elles parlaient de politique, de gouvernement, de femmes aussi… Nous étions encore des gamins innocents de 20-22 ans« , résume Lewis Hitt.

Groupe multiethnique, les East of Underground donnent quelques concerts après leur tournée avant de se séparer pour ne plus jamais se revoir. Morts au combat? Revenus au pays? Hitt ne sait pas ce que les autres sont devenus. Lui, aujourd’hui, est pilote d’ambulance aérienne et vit en Alabama. Seuls quelques témoignages et les archives publiques de New York ont longtemps été capables de révéler ses exploits de jeunesse. Mais en 1997, Dante Carfagna, archiviste et collectionneur, trouve l’album dans un magasin de charité et passe le mot. Une douzaine d’exemplaires font surface. Se vendent à des prix pas possibles. Et en 2007, Wax Poetics publie une première réédition du disque.

 » J’ai un jour googleisé le groupe par curiosité, avoue Lewis Hitt. Et je suis tombé sur des tonnes de réponses. Je me suis dit que quelqu’un avait utilisé le même nom que nous avant de réaliser que notre disque avait été ramené à la vie. Je me suis manifesté mais j’ai dû montrer un certificat pour assurer que c’était bien moi. Une erreur s’est produite sur l’album et la guitare est créditée à un certain Lou Perry.  »

Pour la petite histoire, la copie utilisée pour le re-mastering d’East of Underground a été retrouvée dans un bureau en Allemagne et celle de The Black Seeds/The Sound Trek aurait été débusquée dans une base armée de Decatur (Géorgie).

Glenn Miller, Gene Vincent et Elvis…

Actuellement, l’armée américaine dépense environ 200 millions par an dans le secteur de la musique et est le plus grand employeur du pays, mettant à l’ouvrage entre 4 000 et 5 000 musiciens. La musique était déjà au front pendant la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, avec son Glenn Miller Army Air Force Band, le capitaine Alton Glenn Miller donne 800 concerts pour le moral des troupes, enregistre de nombreux disques et multiplie les apparitions radiophoniques. Il meurt d’ailleurs le 15 décembre 1944, à bord d’un avion parti de Londres en direction de la France où il est censé préparer l’arrivée de son orchestre. Les historiens prétendent que, dans le brouillard, l’appareil aurait traversé par mégarde une zone de délestage où les bombardiers alliés se débarrassaient des bombes qu’ils n’avaient pu larguer sur l’ennemi. Né en février 1935, le créateur de Be-Bop-A-Lula Gene Vincent vient, lui, de la marine. Il s’engage en février 52 et, quand il embarque sur le Chuckawan pendant 4 mois en Méditerranée début 54, il chante déjà des airs de Hank Williams sur le pont. En mars 1955, il reprend du service pour 6 ans afin de percevoir la prime de réengagement. Grand fan de Brando, il l’utilise pour se payer une moto mais, renversé par une conductrice ayant brûlé un feu rouge, il enchaîne les allers-retours à l’hôpital militaire et s’y exerce à écrire des chansons. Il sera réformé après s’être fait enserrer la jambe dans une armature métallique et entamera la carrière que l’on connaît.

Le plus célèbre des rockeurs militaires, c’est évidemment Elvis Presley. Le 20 janvier 1958, Elvis, déjà une immense star, reçoit un courrier de l’US Army. Il doit accomplir son service pendant 2 ans et est stationné en Allemagne à Bremerhaven, près de Fribourg. Affecté à la 2e division armée, 32e bataillon, il apprend à piloter un char et conduit une jeep pour le sergent Ira Jones qui relatera leur relation dans un livre ( Soldier Boy Elvis). A l’époque, le King déprime. Il vient de perdre sa mère et ne sort pratiquement jamais. RCA occupe le marché avec des florilèges et jusqu’à l’été 59 sont publiés des 45 Tours issus de séances d’enregistrement de juin 58. C’est au cours d’une soirée chez son capitaine que Presley fait la connaissance de sa future épouse, Priscilla Beaulieu, alors âgée de 14 ans. Ayant atteint le grade de sergent, il est démobilisé en 1960 et retrouve le show-business.  » Elvis est mort le jour où il est entré à l’armée« , déclarera bien plus tard John Lennon.

Marilyn en Corée…

La musique et l’armée, c’est aussi les nombreuses tournées de soutien moral aux troupes comme le célèbre trip asiatique de Marilyn Monroe. Quelles que soient les raisons qui aient motivé son expédition, 13 000 hommes l’ont acclamée durant sa tournée en Corée du 16 au 19 février 54.

 » Le sommet de ma vie fut de chanter là-bas pour les soldats, déclara-t-elle à ce sujet. J’étais sur une scène en plein air. Il faisait froid, mais je vous jure que je ne m’étais jamais sentie aussi bien. Pour la première fois de ma vie, j’avais le sentiment d’appartenir à une communauté, et que les gens qui me regardaient, m’aimaient et m’acceptaient… Pour la première fois, je me suis sentie une star de cinéma.  »

En 68, c’est James Brown, l’icône black, ni plus ni moins, qui s’en allait jouer au Vietnam. Le patriotisme, c’est quand même mieux en musique… l

East of Underground: Hell Below, CHEZ NOW-AGAIN.

TEXTE JULIEN BROQUET

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