Odyssée du rock en cases, biographies BD… Plus que jamais, la musique du diable se raconte dans les strips et les phylactères.

Alors que Le Petit Livre Rock publié une première fois en 2008 est remis à la page étoffé de quelques planches, Rock Strips sorti en septembre est devenu pratiquement introuvable en librairie (patience, patience…). Dans le premier, au format 45 Tours, l’auteur de BD Hervé Bourhis, collaborateur de Spirou, Jade, Pilote et Magic, retrace de manière chronologique et trépidante l’histoire du rock en griffonnant sons, noms, refrains, pochettes et anecdotes.  » Je n’ai jamais fait d’overdose. Je n’étais pas dans le Bronx aux débuts du hip hop. Je n’ai pas partagé de groupies avec Led Zeppelin. Je n’ai pas la volonté d’être exhaustif, objectif ou de bonne foi. Bref, je n’ai aucune légitimité pour écrire ce livre« , a-t-il beau prévenir en préambule, son petit dico historico subjectif reste sacrément bien foutu.

Rock Strips, dirigé par Vincent Brunner, raconte également le rock en comics noirs et blancs mais s’inscrit dans d’autres optique et dynamique. Brunner est journaliste. Il a été pendant 3 ans chef de la rubrique musique du magazine Rolling Stone et écrit sur la BD pour Casemate. Combinant ses 2 passions, il a invité 33 illustrateurs et scénaristes à croquer une petite histoire relative à un rockeur ou groupe mythique de leur choix (en leur soumettant tout de même une liste de 70 artistes dans laquelle piocher). Résultat? Fred Bernard déclare sa flamme à PJ Harvey, Riad Sattouf ausculte les tignasses de Metallica et Berberian réhabilite Elton John déguisé en gorille tabassé par les Stooges. D’autres (Serge Clerc, Jean-Christophe Menu…) évoquent à leur manière les Kinks, Beatles, Ramones, Pistols, Pixies…

 » Les passerelles entre le rock et la BD tendent à se ramifier. C’est ludique et ça fait du bien, remarque Mathias Malzieu, le chanteur de Dionysos dans la préface de cet ouvrage électrique. Les chanteurs de rock ont tous ce petit côté super-héros de Comics. Tant dans leur extravagance scénique et dans leur gestuelle que dans leur inadaptabilité chronique à la vie normale en société. »

 » Pour moi, ce projet avait quelque chose d’évident, explique Brunner. Et ce même si je n’ai pas connu les grandes heures de Métal Hurlant. Je suis journaliste rock depuis 10 ans et j’ai toujours lu des bandes dessinées. Ces deux contre-cultures ont pas mal de choses en commun. Ne serait-ce que dans leur histoire. Au début des années 70, quand en France et en Belgique, le rock passait peu voire pas du tout en radio, qu’il était compliqué de se procurer des disques, la BD pour adultes avait du mal à s’émanciper. Toutes deux reflétaient un courant mal peigné, en rébellion. Et aujourd’hui, elles sont devenues mainstream. »

Quelque part, l’une comme l’autre sont toujours associées aux éternels adolescents comme des boutons d’acné qu’on se refuse de percer quand on se regarde dans le miroir.

 » Quand ils n’en jouent pas, les auteurs de BD qui travaillent généralement seuls à la maison écoutent beaucoup de musique, poursuit Brunner. Ils ont à mes yeux trouvé de nouvelles manières de parler du rock. Un fanzine comme Claudiquant sur le dance-floor de Luz vaut 100 articles comme les miens. »

Cheval de Troie

Rock Strips est autant destiné à faire découvrir la BD aux amateurs de rock qu’à faire découvrir le rock aux amateurs de BD  » Je le vois comme une passerelle. Un cheval de Troie« , présente Brunner. Histoire de libérer les auteurs de toute obligation, de leur accorder le plus de liberté possible et de garder un côté didactique, il a intégré des biographies, sélections d’albums et play-lists à son ouvrage. Etant donné la sympathie qu’il a rencontrée, il envisage déjà un deuxième tome. Ne serait-ce que pour Bob Dylan et Lou Reed, absents du premier…

Peu de maisons d’édition semblent résister à l’appel fiévreux de la pop et du rock. Certains des auteurs de Rock Strips (Flammarion) ont aussi mis la main, et le crayon, à Nous sommes Motörhead, recueil consacré à Lemmy et sa bande d’affreux (Dargaud). Chez Fluide Glacial, Thiriet et ses Brigands du Vistre dévoilent toutes les manies grotesques, défauts ridicules ou secrets honteux de ces énergumènes que sont les musiciens tandis que Pop, rock et colégram repose sur des délires graphiques et passionnés au son des succès des Zappa, Beatles, Who, Pink Floyd, Genesis et autre Roxy Music.

Plus rudimentaire, chez Petit à Petit, on s’est spécialisé dans la biographie BD. Après Elvis, les Beatles et Michael Jackson, l’éditeur a récemment mis Nirvana en cases. On peut dans certains cas ni personnels ni très documentés (à l’image des séries jazz et blues de Nocturne) nourrir le sentiment que les éditeurs ont trouvé un créneau rémunérateur, exploitent le filon de manière grossière et font preuve d’opportunisme mal placé. En octobre, au salon du livre de Francfort, était même présenté un comics, Fated, prétendument scénarisé par Michael Jackson et Gotham Chopra (co-fondateur de Virgin Comics), sur des dessins de Mukesh Singh. Sa sortie est prévue en juin 2010 aux Etats-Unis chez Random House.

Les Affranchis

En attendant, certains auteurs évoquent le rock dans la BD comme Nick Hornby ( High Fidelity, About a boy) dans ses romans. Souvenirs de jeunesse, Rock’n’roll Life de Bruce Paley et Carole Swain se présente par exemple comme une chronique des années hippies. Entre errance, sex, drugs et concert de Patti Smith…. Là où les Love Song de Christopher racontent les déboires de 4 amis d’enfance en se demandant si le rock est soluble dans le mariage.

Dans les années 70, Harvey Pekar et son American Splendor, première bande dessinée autobiographique, évoquaient déjà la vie banale, les plans foireux et les vinyles. Alors que le Lucien de Margerin, né en histoires courtes dans Métal Hurlant, était guitariste de Ricky Banlieue et ses Riverains…

Car les magazines, plus ou moins spécialisés, sont toujours dans le coup. Et souvent en front de bandière. Dans le premier numéro d’El Rios, son trimestriel de presse graphique (voir détails en page 4), le collectif belge Coiffeurs pour dames consacre, entre un reportage sur la nouvelle gare de Liège et une analyse sur la nuisibilité du sport, une enquête au fric dans le rock. « On y sort pas de scoop, pas de scandale, et pourtant on sait que ce serait difficile à publier ailleurs, autrement, défend Olivier Van Vaerenbergh. La conclusion de notre dossier, c’est, dans le texte: « Les rockeurs belges d’aujourd’hui sont des tapettes. » Que vous soyez ou non d’accord, c’est le biais du dessin qui permet de le dire comme ça. Le paysage de la presse en Belgique est très, très consensuel. Or, le dessin offre une liberté de ton qu’on ne retrouve plus ailleurs. Je le sais, je suis journaliste, on s’auto-censure naturellement, presque sans s’en rendre compte. L’expression graphique affranchit. Puis, avec son pouvoir d’explication et d’évocation, elle est idéale pour causer zik. »

A Angoulême, Coiffeurs pour dames sortira par ailleurs un compact book, un vrai petit bouquin dans une pochette CD, qu’il espère être le premier d’une grande série parlant essentiellement de musique. Vous y retrouverez notamment les pages « Festivaux » publiées dans Focus l’été dernier.

Texte Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content