LES DANSEURS DE NAMUR BREAK SENSATION FÊTENT LEURS 25 ANS DE BONS ET LOYAUX SERVICES À LA CAUSE HIP HOP. EN MODE OLD SCHOOL, MAIS PAS SEULEMENT.

Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas s’en rendre compte: le rap est aujourd’hui partout! « Pas trop tôt », diront certains! De fait, car voilà quand même près de 40 ans que les MCs se sont emparés des micros, contribuant ainsi à jeter les bases de la culture hip hop. Cela dit, d’autres disciplines en font intégralement partie, de cette culture: le graff et le deejaying notamment, mais aussi la danse. Le b-boying, ou le break, comme on l’appelait dans les années 90. Ce break qui, lui, n’a pas bénéficié de la même exposition médiatique que les rappeurs. Pourtant, cet art-là compte aussi ses Jay Z et ses Booba, ses Kanye du freeze ou du headspin! Et c’est pourquoi, dans ce contexte, l’aventure NBS ne ressemble à aucune autre.

Les cinq de Namur Break Sensation sont les pionniers du b-boying et de la culture hip hop en Wallonie. Marc Sevrin, Bashkim Topojani et les trois frères Roose, Julien, Guillaume et Jérémie, constituent le premier groupe belge à avoir participé à la Battle of the Year (en 1996), avec la Belgian Hip Hop Alliance, une équipe nationale. Mieux encore: en 1996 également, ils font le grand saut, avant les autres en Belgique, vers le théâtre et la danse contemporaine. En rejoignant le spectacle Carte blanche monté par les Flamands de Hush Hush Hush, un side-project des Ballets C de la B et du metteur en scène Alain Platel. NBS n’en restera pas là. Sous la houlette du metteur en scène Jean-Michel Frère, de la compagnie Victor B, les Namurois danseront dans SC35c, avec la comédienne Cécile de France, et Men Need Sleep, en collaboration avec des élèves de l’École du cirque de Bruxelles. Deux spectacles salués par la critique et le public. Vingt-cinq ans d’expression plus tard, NBS oeuvre toujours, pour la danse certes, mais plus largement encore pour la diffusion de la culture hip hop. En 2013, les breakeurs ont ainsi lancé Wal’Style, une structure active -notamment- au sein du festival namurois Beautés soniques. Et dire que tout a commencé à cause de Benny B…

Mais ils sont fous!

Si pour Julien, Marc et leurs camarades, le premier vrai déclic a été de voir danser à Namur un certain Mustapha (« Il avait breaké un peu dans les années 80, il ne faisait pas grand-chose, mais il le faisait bien »), voir Benny B, et en particulier Daddy K exécuter des ciseaux et tourner sur sa tête, a été une révélation. Au début des années 90, la capitale wallonne ou le désert, c’est un peu kif-kif… « C’était bien avant Internet et nous n’avions même pas MTV ou MCM, rappelle Julien Roose. Mais il y a eu le phénomène Benny B… A partir de 1989, 1990, on a vachement dansé! » Imitation et mimétisme, jusqu’à un second déclic: en 1993, le Palais des expositions de Charleroi accueille un concours de danse dans le cadre d’un événement considéré comme un élément-clé de la culture hip hop en Belgique. « En off, on a vu danser tous les plus grands groupes de break d’Europe. Des groupes très underground… Pour la petite histoire, ce sont deux Allemands, dont Storm, qui ont relancé le break au début des années 90. Même aux Etats-Unis, plus personne ne dansait. » Et ces deux Allemands-là sont alors à Charleroi: nos b-boys namurois, qui dansaient donc déjà depuis un petit temps, pensaient être devenus super bons… « Et on a arrêté pendant six mois, s’amuse Marc Sevrin. On était tous dégoûtés, déprimés. Parce que Daddy K qui faisait des ciseaux et tournait sur la tête, c’était impressionnant, et on croyait vraiment que c’était ça, le breakdance. Mais c’était des mouvements basiques. Au Palais des expos, devant le top mondial de la danse (les Allemands donc, mais aussi des Français, des Anglais…, NDLR), on a vu ce que c’était vraiment que le b-boying! »

Les cinq garçons ne restent pas longtemps à terre. Il se trouve que Daddy K a filmé la fameuse soirée de Charleroi. Une VHS change de mains… « On a commencé à décortiquer, reprend Julien Roose. Et en même temps à s’entraîner avec Daddy K. Lui venait à Namur, à la galerie d’Harscamp, et nous allions à Bruxelles, à la basilique de Koekelberg. Tout ça a redonné de l’énergie aux « anciens », et nous, on avait faim! » Il a quinze ans à l’époque, Marc, 18…

NBS veut alors danser partout. Dans la rue comme dans toutes les soirées hip hop. Namur est trop tranquille, il faut aller se forger une expérience ailleurs. « Au début des nineties, c’était le R’n’B, la new jack. Nous allions là où plus personne ne dansait. On faisait du sol et, indirectement, on a un peu relancé le break en Belgique. Mais au départ, on a eu du mal à se faire accepter. Nous étions les seuls Blancs dans les soirées new jack, personne ne dansait au sol, on devait écarter les gens parce que le cercle se refermait toujours… « 

Vingt-cinq ans, ce n’est pas la préhistoire. En même temps, entendre Julien et Marc raconter leurs années 90, c’est un peu comme voir des images d’archives. Qui contrastent curieusement avec toutes celles d’aujourd’hui, telles que véhiculées par les clips et le Net, par exemple. Qui a dit « old school »? Dans le groupe, on collectionne encore du vinyle, on continue à s’intéresser à la musique. Et l’on voit comment la danse, l’esprit de la danse a pu changer. « Aujourd’hui, ce sont les apparences qui comptent beaucoup. Faire le bon mouvement au bon moment, le filmer, poster la séquence sur Facebook, avoir 300 likes, et puis le mec est content. Nous, notre kiff, c’était d’aller danser dans la rue et de faire des rencontres, de danseurs ou non44. »

Tourisme on the floor

Danser dans la rue… En 1995, NBS s’en va à Barcelone. En stop et sans un franc. Marc: « C’était la folie! » Julien: « C’était noir de monde sur la Rambla. On dansait dans la rue pour se payer un peu de bouffe, on rencontrait des gens chez qui on allait dormir. Et on s’entraînait avec les b-boys de Barcelone. Si on était carrément en avance sur eux, c’était super gai parce qu’il y avait toujours quelque chose à apprendre. On dansait donc sur la Rambla pendant trois ou quatre heures, et puis on allait encore dans les parkings, où il faisait super chaud, pour s’entraîner avec des Espagnols. Ce sont des rencontres super simples, mais ce sont les meilleurs moments qu’on a vécus dans la bande. » A un point tel que le groupe a remis ça tous les ans, jusqu’en 2006.

Ces meilleurs moments-là prennent même parfois une tournure un brin surréaliste. A l’époque aussi, NBS danse à Londres, à Covent Garden. « Tout n’était pas encore refait comme aujourd’hui. On était tout en bas, et les gens lançaient des pièces de monnaie de partout depuis les étages. » Un Black danse avec eux… Un type que Julien finit par recroiser un jour où il joue les touristes le long de la Tamise avec sa moitié. « Il devait avoir 50 ans, après tout ce temps! Le mec est là, à faire son show. Et son truc, c’est toujours de tourner sur sa tête. Il ne sait plus faire que ça, mais à 50 ans, c’est déjà pas mal. Et puis, il a l’art de parler pour enrober, faire durer le truc. Mais voilà, ça, c’est super gai. Même si ça l’est aussi d’aller voir la dernière star que tout le monde a vue au championnat Red Bull, une rencontre avec un gars comme ça, qu’à la limite personne ne connaît, ça me fait ma journée! »

Du côté de NBS, où l’on est quadra maintenant, on s’entraîne encore deux ou trois heures par semaine pour garder la forme. Et on en est convaincu: le b-boying, il faut que ça reste dans la rue! « Les p’tits jeunes (Leurs anciens poulains, comme ils les appellent aussi; NDLR) qui ont fait ça quelques fois avec nous en reparlent tout le temps! »

Tout pour la rime

Le hip hop tel que pratiqué chez nous, c’est pour l’heure -et toujours- par le rap qu’il fait parler de lui. Jusque dans la presse française, pleine de louanges. Pour des tchatcheurs comme Caballero et JeanJass, auteurs d’un Double Hélice très recommandable, c’est tout simplement le résultat d’un alignement des planètes. « De ce point de vue, Bruxelles est à la mode, commente le premier. De nouveaux médias ont vu le jour, nombre d’artistes font du bruit sur Internet et les réseaux sociaux. Certains qui arrivent en même temps sont belges, c’est un hasard, mais Hamza sort un truc, Damso se fait repérer par Booba qui est le maître du rap francophone, nous, on est toujours connectés avec les Français. Nekfeu pète et il fait 200 millions de ventes… Tout ça arrive en même temps et fait qu’on entend bien parler de nous. » L’artistique y est pour quelque chose aussi, bien sûr. A force de projets, de tournées qui ont rencontré un public non négligeable -en 2015, Caba et JeanJass sont allés en France avec les Belges de La Smala- les attentes se manifestent de manière plus pressante et plus claire que par le passé.

Jadis aussi, quand un rappeur belge annonçait travailler sur « son » album, il ne fallait pas s’attendre à pouvoir poser les oreilles sur ladite galette avant deux ou trois ans. Aujourd’hui, la production « urbaine » ressemble à une coulée continue: les collaborations se succèdent, les sorties s’enchaînent, certaines se fraient un chemin jusqu’aux radios plus généralistes. Dans ce vent de fraîcheur qui souffle sur cette scène, on perçoit parfois comme un parfum d’old school. Ou du moins, un clin d’oeil aux « anciens ». Côté rap en tout cas, car il paraît qu’avec les années, les breakeurs, eux, se sont quelque peu retirés sur un circuit où le sportif, la performance prennent parfois le pas sur la rencontre et le partage.

Dans le paysage urbain du plat pays, Namur Break Sensation reste le seul groupe de danse « ouvert », proche des autres acteurs de la culture hip hop. « On est aussi bien potes avec les mecs d’un groupe de rap comme CNN ou Starflam qu’avec les graffeurs de JNC (de Liège, NDLR) ou des DJs. On est partout, on peut tout apprécier et, du coup, on partage vraiment. C’est ça, la culture hip hop: apprendre, construire des choses mais par le partage, sans quoi ça n’a pas d’intérêt. Finalement, oui, on est un peu à l’ancienne, avec tout ce parcours vraiment axé sur les rencontres. Mais si on est arrivé au théâtre, par exemple, c’est parce qu’on avait cet esprit-là. »

Un blâme? A Internet, un peu quand même! « Aujourd’hui, on leur balance constamment des trucs, déplore Marc. Il y a trop d’informations, et pour finir, ils zappent tout. Beaucoup de b-boys ne connaissent même pas les sons sur lesquels ils dansent! »

On l’aura compris: ce samedi 28 mai, on soufflera les 25 bougies décorant le gâteau NBS dans l’esprit de cette culture défendue par les Namurois. Entre mixes aux platines et rencontres, les invités annoncés leur ressemblent. L’Américain Iron Monkey du Rock Force Crew? « Il donnera un workshop. Pour nous, c’est une manière d’assurer la transmission. » Le Parisien Dee Nasty qui a accompagné en musique les premiers pas de NTM? « A notre échelle, on a dû, comme lui, inventer notre culture hip hop à une époque où il n’y avait rien. » Le Belge Défi J des pionniers BRC? « Même chose, c’est quelqu’un qui a inventé la culture hip hop en Belgique, à son échelle. Et le disque de BRC, c’est quand même un des premiers, si pas le premier vinyle de rap du pays! » Ils seront rejoints par Sonar, Rival et d’autres encore. « On essaie toujours d’aller chercher des choses un peu à l’ancienne, pas pour jouer aux vieux cons mais, sans prétention, parce que c’est vraiment intéressant. Sinon, on loupe des trucs! » Ou en d’autres termes: tous sont de ceux qui se réjouissent d’entendre du rap partout aujourd’hui. Mais pour les bonnes raisons…

LES 25 ANS DE NAMUR BREAK SENSATION, SAMEDI 28/05 À 19 H, AU THÉÂTRE ROYAL DE NAMUR. ENTRÉE GRATUITE.

À VOIR: 25 ANS DE NBS EN 25 PHOTOS, WWW.NAMURBREAKSENSATION.BE

À TÉLÉCHARGER: LA MIXTAPE DE WILDSTYLE GUY, WWW.WALSTYLE.BE/NBS25–MIXTAPE.MP3

RENCONTRE Didier Stiers

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