UNE CHRONIQUE DÉSOPILANTE QUI DÉVOILE L’ENVERS DU DÉCOR D’UNE THÉSARDE EN LITTÉRATURE SUR FOND DE LUMPENPROLÉTARIAT INTELLO. AVIS DE RECHERCHE…

Carnets de thèse

DE TIPHAINE RIVIÈRE, ÉDITIONS DU SEUIL, 180 PAGES.

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Le chercheur est souvent vu comme un rat de bibliothèque payé par la collectivité pour sucer la moelle de sujets qui n’intéressent personne. Singulièrement dans le domaine des lettres. Le scientifique qui tente d’identifier la molécule responsable d’une maladie incurable, on voit à peu près à quoi il sert, mais le doctorant qui consacre cinq ou six années de sa vie aux Chevaliers Paysans de l’An mil au Lac de Paladru, c’est moins évident… D’où cette image hybride de fainéant assisté bénéficiant d’un statut social supérieur.

La réalité est à la fois proche et éloignée de cette vision fantasmée comme le révèle avec beaucoup d’humour et d’autodérision Tiphaine Rivière dans ses Carnets de thèse. Largement inspirée de son expérience personnelle, cette chronique acide nous plonge dans l’univers impitoyable de la recherche, sur les pas de Jeanne Dargan, jeune professeure d’un collège difficile sauvée de la dépression précoce le jour où sa demande de thèse est acceptée par l’éminent professeur Alexandre Karpov. Mais pas le financement… Elle va donc devoir combiner son enquête approfondie sur la parabole de la loi du Procès de Kafka avec des emplois hautement précaires dans les replis spongieux de l’hydre académique. Mais cette perspective ne lui fait pas peur, elle est gonflée à bloc, trop heureuse d’intégrer l’élite du savoir.

Du paradis à l’enfer

Très vite toutefois -dès l’inscription en fait, quand une secrétaire adipeuse tentera de la dissuader- les désillusions vont s’empiler comme des tuiles: directeur fantôme qui ne répond jamais, compétition stérile entre les thésards, course au pouvoir, manque de reconnaissance… Le petit monde soi-disant éclairé qu’elle décrit ressemble à un aquarium peuplé de requins misanthropes. A cet environnement délétère s’ajoute une autre difficulté, auto-immune celle-là: son penchant à la procrastination. Jeanne avait prévu trois ans pour boucler sa thèse, elle en aura finalement besoin de six, au grand dam de ses proches qui n’ont jamais compris ce qu’elle faisait.

Pour couronner le tout, la jeune fille va venir gonfler la statistique qui veut que deux couples sur trois ne résistent pas à cette épreuve d’obstacles. « T’en as pas ras le bol de vivre comme une éternelle étudiante en période d’examens??« , lui lance son copain. « Le collège t’aimes pas, la thèse tu souffres: tu ne t’es jamais demandé si le problème ne venait pas de toi? »

A la pointe d’un humour vachard mais humaniste à la Sempé, l’auteure ausculte sous toutes les coutures, y compris intimes, ce prolétariat intellectuel. Et si elle a échoué sur la voie « royale » comme nous l’apprend la troisième de couverture, Tiphaine Rivière a puisé dans cette expérience malheureuse la matière première d’une reconversion prometteuse dans la BD. Le trait manque certes encore un peu d’assurance, de mordant mais son sens de l’observation et ses trouvailles graphiques la placent d’emblée au-dessus de la mêlée des récits nombrilistes « pour nanas » qui encombrent les rayons.

LAURENT RAPHAËL

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