Rencontrer Ben Kingsley, c’est la promesse d’un moment privilégié, tant l’acteur britannique évoque son métier avec une jubilation intense. Quarante ans de carrière et des rôles par dizaines, de Gandhi au Don Logan de Sexy Beast, pour n’en citer que deux parmi les plus emblématiques, n’ont en rien entamé son enthousiasme. A croire que cet homme-là a décidé un beau jour de rayer le terme blasé de son vocabulaire. En retour de quoi le cinéma nous le montre inoxydable – voir le Elegy d’Isabel Coixet ou, aujourd’hui, Shutter Island de Martin Scorsese. « Marty, je l’avais rencontré une fois, à la fin des années 80, à Washington, entame Kingsley dans un anglais châtié, alors qu’on le retrouve dans un hôtel londonien. C’était à l’occasion d’une semaine culturelle anglaise à laquelle je participais avec Richard Attenborough, au titre de contingent cinématographique britan-nique. Marty est passionné de cinéma anglais, et a contribué à la restauration de nombreux films, ceux de Powell et Pressburger, en particulier. Il nous en a montré, suivis d’une formidable conférence – nous l’écoutions, transformés en statues. Je l’ai toujours apprécié, de même que ses films. Etre invité à participer à celui-ci m’a procuré un sentiment merveilleux. « 

Comme Mystic River de Clint Eastwood et Gone Baby Gone de Ben Affleck, Shutter Island est inspiré d’un roman de Dennis Lehane. Sur les raisons qui ont conduit Martin Scorsese à adapter à son tour l’écrivain de Boston, l’acteur avance une hypothèse: « Certaines £uvres d’art ont exploré avec une autorité extraordinaire un esprit dérangé: Le cri d’Edvard Munch, des toiles de Bruegel, des compositions de Mahler, Wagner ou Chostakovitch. Marty est un conteur moderne ayant l’autorité et l’intelligence requises pour embrasser un tel sujet dans un film. »

S’il laisse le premier plan de Shutter Island à Leonardo DiCaprio, Ben Kingsley n’y joue pas moins un rôle crucial, celui du docteur John Cawley, le psychiatre en fonction dans l’hôpital où se déploie l’action. Un personnage au profil d’autant plus intéressant que d’une profonde ambiguïté. « Ce sont 2 personnages, en fait: une facette dans laquelle il est lui-même, et l’autre, dans laquelle il est totalement engagé dans le processus de guérison qu’il met en £uvre. Le scénario présentait de grands défis pour les acteurs: certains jouent des hallucinations, d’autres jouent des morts, et d’autres encore jouent des individus qui prétendent en être d’autres. Mais grâce à l’intelligence du boss, Marty, et à l’élégance du scénario, beaucoup de problèmes se sont résolus d’eux-mêmes. » Au fait, Ben Kingsley verrait-il un parallèle entre l’acteur et le psychiatre? « Je ne peux répondre à cette question que par un échantillon intéressant de symétrie humaine: mon père était docteur, et il a eu 2 fils. L’un est devenu psychiatre, l’autre acteur. Nous aspirons, l’un comme l’autre, à être des guérisseurs. Mais je pense que la guérison d’un psychiatre, de quelque école que ce soit, passe, jusqu’à un certain point, par le contrôle du patient. Alors que mon approche de la guérison, c’est de raconter une histoire, en disant: à vous de choisir ce que vous décidez d’en faire. « 

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Londres.

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