CHARLOTTE DE COCK, UNE JEUNE PEINTRE ANVERSOISE QUI MONTE, CONSACRE UNE REMARQUABLE SÉRIE DE TOILES À TREIZE MAÎTRES FLAMANDS. À QUELQUES JOURS DU VERNISSAGE, FOCUS S’EST GLISSÉ DANS SON ATELIER.

Ne jamais se fier aux apparences. Avant de rencontrer Charlotte De Cock, l’attaché de presse avait prévenu: « Il faut l’appeler dix minutes à l’avance, son atelier est au milieu d’un grand domaine, elle doit venir vous ouvrir. » Forcément, ce genre d’indice fait travailler les méninges: on imaginait d’ici la jeune femme de bonne famille nourrie au caviar et à l’ego-trip façon « regardez-moi, je suis blindée mais je peins ». D’autant qu’on s’était offert une petite balade virtuelle sur son site, et que l’Anversoise y est décrite comme « multidisciplinary artist, community builder, style icon« . Ouille. Cerise sur le gâteau, la miss apparaît maquillée comme une voiture volée dans une courte vidéo à la gloire de Lee Cooper. Une séquence de deux minutes dans laquelle elle scintille, sublimée par une lumière de printemps. On la voit s’amuser avec ses pinceaux comme d’autres se réunissent pour parler des livres qu’ils ont lus. Peindre ou vivre de ses rentes… Bref, tout ça sentait le fake à plein nez. Heureusement, dans la foulée, on avait pu entrevoir l’une des toiles de la nouvelle série annoncée. Un portrait de Luc Tuymans… suffisamment intriguant pour concéder l’aller-retour jusqu’à Mortsel. Sur place, rien ne correspond. Exit la Barbie aux cheveux d’or, Charlotte De Cock ressemble à un petit animal farouche extrêmement déterminé. Des cernes, un teint pâle qui laisse entrevoir une vie dissolue, des vêtements informes maculés de peinture, on est loin de la carte postale. Le domaine? Il existe bel et bien mais l’artiste et sa mère n’en louent qu’une petite dépendance avare en clarté. L’atelier, que l’on aurait parié verrière somptueuse, est en fait une minuscule pièce dans laquelle les toiles tiennent à peine. Se faufilant entre les murs et les meubles, Charlotte indique au visiteur où se placer pour avoir le maximum de recul. Celui-ci oscille de un à deux mètres. La lumière a beau être ténue et le chaos autour de ses toiles grand, l’oeil tombe en arrêt devant The Thirteen Masters. Soit treize portraits grand format à la gloire de ces artistes flamands -peintres, acteurs, réalisateurs, écrivains…- qui sont les porte-parole d’une génération. Leurs noms? Luc Tuymans, Koen van den Broek, Robbe De Hert, Jan Decleir, Fred Bervoets, Damiaan De Schrijver, Ludo Mich, Guillaume Bijl, Jeroen Olyslaegers, Wim Catrysse, Tom Barman, Guy Van Bossche et Herman Selleslags. Avec un sens cinématographique du cadrage, Charlotte De Cock les donne à voir tels qu’en eux-mêmes, loin de toute représentation. Peints à l’acrylique en noir et blanc, les visages troublent par la sérénité qu’ils dégagent.

Comme elle respire

Pas de doute, Charlotte De Cock possède l’instinct de la peinture. Autodidacte, elle n’en fait d’ailleurs qu’à sa tête. « A l’école, j’ai eu quelques cours de peinture: « Fais ceci, fais cela« , « Peins ceci, peins cela« … Cela ne m’allait pas du tout. J’ai tout arrêté à 18 ans pour me lancer toute seule. Je me suis mise à squatter le salon avec mon travail. Quand j’ai eu quelques toiles, je les ai exposées dans la boutique de brocante de ma mère qui est ma meilleure amie. J’ai tout vendu en un rien de temps« , explique la jeune femme de 27 ans. La suite? Une histoire presque cousue de fil blanc. « J’ai eu ma première expo dans une vraie galerie à 21 ans. Un succès. L’argent coulait à flots, du coup, je ne peignais plus. J’ai tout claqué et même plus. Pendant deux ans, j’ai fait la fête comme une folle. J’ai dû peindre à nouveau pour rembourser mes dettes. L’argent s’est remis à pleuvoir, j’en ai profité pour m’installer à Los Angeles. Là aussi, ça a bien marché. Je suis revenue parce que mon beau-père, que j’adorais, est mort« , poursuit-elle. La vie dissolue que laissait entrevoir le teint pâle est bien réelle, Charlotte De Cock appartient au cercle des flamboyants qui peuvent entamer une journée par deux bouteilles de cava ou prendre un vol pour Berlin sur un coup de tête. Cette « vida loca » la fascine, c’est elle qui l’a poussée à entreprendre la série de portraits The Thirteen Masters. Elle raconte: « Je voulais faire quelque chose autour des cafés culturels à Anvers, il y a là toute une agitation qui est en train de disparaître sous un tas de lois, genre « ne plus fumer », « ne pas faire de bruit »… Cette idée m’a menée tout naturellement vers ceux qui donnent vie à cette vie culturelle. » Pour ce faire, ni une, ni deux, elle contacte des pointures telles que Luc Tuymans ou Koen van den Broek, lesquels lui ouvrent leurs réseaux. Elle y va au culot et leur propose des rendez-vous lors desquels elle photographie à tout-va. « Ce projet a été comme un voyage pour moi. Certaines rencontres furent brèves mais d’autres, intenses, à la hauteur des artistes contactés. Avec Ludo Mich (un artiste apparenté à Fluxus, ndlr), on a bu jusqu’à plus en pouvoir, pendant que je le photographiais, il performait en hurlant dans un micro« , se souvient celle qui est également DJ, entre autres au Café d’Anvers. Quand on l’interroge afin de savoir pourquoi « treize » figures artistiques, Charlotte De Cock s’en tire pas une pirouette qui révèle un coin de son âme tourmentée: « Parce que 666, cela faisait trop de travail. » Dorée sur tranche? Loin de là: on ne peut s’empêcher de lire dans son choix de personnalités masculines une quête de la figure paternelle: « Ces Masters sont comme des pères et des juges pour moi. » Le sien, de père, s’est suicidé quand elle avait quatre ans. « C’était une sorte de bandit, il a fait quelques mois de prison et en sortant il a mis fin à sa vie… Il a laissé un manuscrit, c’est la chose la plus précieuse que je possède. J’aimerais l’adapter, sous forme de film -une histoire tragique et drôle à la fois. »

THE THIRTEEN MASTERS, LOFT STYLES ANTWERPEN, 55, KLOOSTERSTRAAT, À 2000 ANTWERPEN. DU 04/12 AU 04/01. WWW.CHARLOTTEDECOCK.COM

RENCONTRE Michel Verlinden

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