L’oeUVRE SPLENDIDE ET FRAGILE DE MOLLY DRAKE, MAMAN DU REGRETTÉ NICK, A ÉTÉ EXHUMÉE, TANDIS QUE MARY GUIBERT VEILLE À L’HÉRITAGE DE SON DÉFUNT FISTON JEFF BUCKLEY. À LA VEILLE DE LEUR FÊTE, FOCUS PREND L’AIR DE LA MÈRE

Certaines ont soutenu leurs mioches envers et contre tout -en ce compris les voisins qui se plaignaient des répètes et du boucan jusqu’aux petites heures du matin. D’autres les ont inscrits à l’école de musique voire leur ont enseigné elles-mêmes les rudiments de leurs instruments. Béla Bartók, Sergueï Prokofiev et Nat King Cole ont ainsi tous pris leurs premières leçons de piano avec maman.

Si Chance the rapper avoue que c’est sa reum qui lui a fait découvrir le hip hop, le R’n’B et la néo soul, la sortie l’an dernier d’un album compilant les enregistrements à la maison dans les années 50 et 60 de Molly Drake laisse plus qu’entrevoir l’influence de la fragile pianiste sur Nick, son magicien de fils décédé en 1974 d’une overdose d’antidépresseurs à l’âge de 26 ans seulement. Flash-back. Molly, née comme son gamin à Rangoon, et Rodney, son mari, vivent en Birmanie coloniale, où ce dernier travaille comme ingénieur, lorsqu’est annoncée en 1942 l’invasion imminente du pays par le Japon. Les hommes prennent les armes. Les femmes partent en Inde. Les Drake n’arriveront en Angleterre qu’en 1952. Comme dans nombre de familles de la classe moyenne, un piano trône, majestueux, dans la demeure. Molly y joue ses petites et merveilleuses comptines. Chante se méfier de la nostalgie (Never Pine For The Old Love, Breakfast At Bradenham Woods). Quand son fils mourra, elle déclarera ne pas vouloir quitter la bâtisse familiale avant de l’avoir retransformée en maison heureuse.

De nos jours, Molly Drake ferait probablement carrière. Mais dans les années 40, les femmes cultivées de la middle class sont peu nombreuses à travailler. Même si son mari, tellement fier, n’hésite pas à courir jusque Birmingham pour faire presser quatre chansons sur un disque, Molly compose et joue dans l’intimité. Sans cette quête éperdue de reconnaissance qui caractérise notre époque. La musique et la poésie sont des affaires privées.

Son Poor Mum fait écho au Poor Boy de son fils, extrait de l’album Bryter Layter (1970). « Je ne pense pas que Nick ait eu connaissance de ce morceau, déclarait sa soeur Gabrielle dans le Guardian. Mais elle disait: « Tu ressens ces émotions, et bien moi aussi. » »

Tel fils, telle mère… Molly, décédée en 1993 à l’âge de 77 ans, est partie avant l’arrivée du succès. Elle n’a même pas sorti un disque de son vivant ni joué en public excepté quand elle s’est fait embaucher par All Radio India. Se produisant avec sa soeur sous le nom des Lloyd Sisters. « Je ne sais pas ce que Nick aurait pensé de l’attention qui est aujourd’hui portée à notre mère. Il trouvait ces chansons très naïves mais l’âge aurait sans doute modéré ses propos. »

Gestion de patrimoine

Au-delà de l’influence qu’a pu exercer sur lui sa maman, Nick Drake doit le nombre important de bootlegs dont il a fait l’objet à ses parents, qui copiaient sur cassettes des morceaux immortalisés chez eux par leur fils, pour les fans débarquant en pèlerinage à Far Leys, leur maison de Tanworth-In-Arden…

Autre mère d’un génie trop tôt parti, Mary Guibert est encore adolescente quand elle donne naissance à Jeff Buckley. Elle décide à l’époque de le garder et de l’élever toute seule. Quitte à abandonner son unique talent: la musique. « Je crois que j’ai chanté avant de parler, racontait le regretté fils de Tim et Mary aux Inrockuptibles en 1994. Chaque soir, ma mère m’endormait avec des berceuses qui me disaient comment bien me nettoyer les mains. Elle aurait rêvé de jouer Mendelssohn toute la journée au lieu de faire le ménage. »

A la mort de son fils par noyade, dans les eaux troubles de la Wolf River, affluent boueux du Mississippi, en mai 1997, Guibert prend rapidement à son compte la gestion de sa mémoire. Elle s’oppose à Columbia qui a récupéré les enregistrements de Buckley avec Tom Verlaine (Television) et prévu la sortie d’un disque posthume en octobre avant de bosser sur le projet avec Chris Cornell, pote de Jeff et chanteur de Soundgarden. En mai, elle dévoile Sketches for My Sweetheart The Drunk avant d’attaquer en justice le manager de son rejeton et de dealer avec tout ce qui touche de près ou de loin à sa musique. Des publications de disques aux autorisations d’utiliser ses chansons en passant par les rapports avec les fans. Une manière de faire son deuil sans doute ou de continuer à vivre avec son fils… En attendant, les sorties posthumes en cascade, souvent bien inutiles, et les rééditions à répétition (Jeff Buckley n’avait signé qu’un seul album de son vivant) peuvent donner à la mère Guibert, qui tient aussi à l’oeil les exploitations hollywoodiennes de la vie de son enfant, l’image d’un tiroir-caisse ambulant.

Chez les rappeurs, Afeni Shakur, la mère de Tupac, ancienne Black Panther, activiste politique et philanthrope, tient elle aussi les choses bien en mains. En bonne businesswoman, elle a créé Amaru Entertainment pour publier les inédits de son MC de fils et figure à la tête de Makaveli Branded, marque officielle des vêtements Tupac. Elle utilise le fric pour faire vivre la Tupac Amaru Shakur Foundation, qui propose des programmes artistiques aux jeunes enfants, et participe à d’autres actions caritatives, mais dormait tout de même en 2013 sur un bon gros matelas de 50 millions de dollars. Un point commun avec Voletta Wallace, Notorious B.I.G. mummy. Au nom du fils…

TEXTE Julien Broquet

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