Au doigt et à l’oeil

© Stephan Balleux

Autoproduite jusque dans le moindre détail, la dernière exposition de Stephan Balleux rappelle toute l’urgence et la pertinence de la peinture. Spectacle total.

Une reconstruction. Tel est le terme qu’utilise Stephan Balleux pour parler de sa nouvelle exposition à LaVallée. Pensée jusque dans les moindres recoins ou s’amusant des formats, des clartés, des rémanences et des intensités, la proposition magnétise. Loquace, l’homme évoque aussi le fil rouge qui traverse l’accrochage: l’impermanence. Comme on le pressent chez lui, rien n’est jamais aussi tranché, lui dont le travail s’accommode du flou. Si impermanence il y a, celle-ci ne surgit pas sans une juste dose de permanence. Fidèle à sa nature, Balleux aime à concilier, juxtaposer les contraires. Ainsi, La Poussière des météores -un beau titre emprunté à l’album L’Imprudence d’Alain Bashung- est tout à la fois cérébral et léger, multipliant les strates interprétatives à l’envi. C’est d’ailleurs ce que l’on trouve formidable chez l’intéressé: il est possible de déballer tout l’attirail théorique, l’oeuvre l’absorbe sans difficulté, mais on peut également louvoyer parmi les oeuvres sans bagage pictural. Dans un cas comme dans l’autre, le parti pris ouvertement figuratif attrape le regardeur par le col. Dès l’entrée dans le lieu alternatif, Balleux joue avec son visiteur. Un autoportrait à l’aquarelle se dresse du haut de ses 165 centimètres sur 125. L’artiste tel qu’en lui-même? Beaucoup trop facile. Un infime détail grippe la machine à produire de l’illusion. De l’autre côté du mur, c’est la face B que l’on découvre. Au premier degré, qui n’est pas celui qui intéresse le peintre, on mesure le caractère intime de se révéler « vu de dos ». Il est question d’un don de soi. On entre dans cette représentation dépossédée du regard comme dans un moulin, on s’y insère, touchant ainsi l’essence même d’un corps qui est toujours en excès. Ce revers a lui aussi son petit secret que cette fois l’on ne résiste pas à révéler: la main gauche comporte six doigts.

Panthéon personnel

Dans la grande salle dotée d’une coursive, Balleux laisse exploser une énergie retrouvée. Elle prend la forme d’une Cascade d’Héraclite, une toile de 6 mètres de haut qui rappelle la virtuosité du Bruxellois. Présentée comme  » une sorte d’arbre généalogique non-exhaustif de l’idée de la prise de position sociétale« , la composition déverse des visages adorés, de Deleuze à Nietzsche, en passant par Chomsky ou Wittgenstein. L’oeuvre en question renvoie directement à une série de 25 dessins exposés sans artifices. À leur propos, Balleux évoque modestement le « fan art », comme pour excuser ce panthéon réalisé à l’aquarelle projetée à l’aérographe. Les visages de Jean Genet, Kate Tempest ou Samuel Beckett donnent des envies de génuflexion. Le traitement tout en réserve n’est pas sans ironie, les têtes présentées sont comme séparées du corps. Le fantasme de la décollation plane. Il y a aussi le regard des intéressés. Le peintre les a affublés d’un « tapetum lucidum », un « tapis luisant » qui n’est autre qu’une couche réfléchissante au fond de l’oeil présente chez de nombreux vertébrés. Celle-ci permet de mieux voir dans l’obscurité. Bien sûr, la leçon est à prendre au sens propre: c’est bien de voyants, d’extralucides, que le portrait nous est ici dressé. Dans la foulée, une leçon de ténèbres est proposée derrière un épais rideau noir. Dans une salle obscure, une oeuvre murale, apposée sur un  » mur lépreux« , selon le mot du peintre, vient à notre rencontre. Nébuleuse et étrangement chromatique, elle ne laisse en rien présager une autre leçon, d’anatomie celle-là, qui attend le visiteur dans la salle ultime… Dont on taira le caractère spectral.

La Poussière des météores

Stephan Balleux, LaVallée, 39 rue Adolphe Lavallée, à 1080 Bruxelles. Jusqu’au 22/09.

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