QUATRIÈME LONG MÉTRAGE DE SOFIA COPPOLA, SOMEWHERE PROMÈNE LE SPLEEN D’UNE STAR DE CINÉMA DANS LES COULOIRS DU MYTHIQUE CHÂTEAU MARMONT, À LOS ANGELES. ELLE EN PARLE, DU BOUT DES LÈVRES…

Qu’elle n’apprécie que modérément l’exercice de l’interview, on en a rapidement la démonstration. A croire qu’elle règle ses réponses sur le rythme d’un métronome battant la mesure toutes les 15 secondes, invariablement ou peu s’en faut. Non, pour autant, que la jeune femme soit désagréable: mieux même, elle semble veiller à traiter chaque question avec la même attention, pivotant sur le sofa dans lequel elle a pris place pour mieux fixer à tour de rôle l’un des 5 journalistes qui lui font face. Mais voilà, elle préfère à l’évidence les points de suspension aux explications définitives -du genre, alors qu’on l’interroge sur la rémanence du thème de la perte de l’innocence dans ses films, à se contenter, en guise de réponse, d’un « Mmh. OK. Yeah… « .

Pour Somewhere, son quatrième long métrage, elle a choisi de planter sa caméra dans le sillage de Johnny Marco (Stephen Dorff, impérial d’absence), star de cinéma ayant élu résidence au mythique Château Marmont ( lire page 14), et bientôt confrontée au vide de son existence déjantée par l’entrée dans le champ de sa fille Cleo, 11 ans et, à bien des égards, sensiblement plus mature que lui. « Je travaille de façon intuitive, explique-t-elle. Au départ du film, il y a une réflexion sur la pop culture américaine d’aujourd’hui, avec cette fascination pour le fait de devenir célèbre. Des tas d’articles ont aussi évoqué des stars qui menaient une vie de bâton de chaise et qui ont traversé des crises personnelles -d’où l’idée de ce type de personnage. Et après Marie-Antoinette , où mon côté féminin avait pris le dessus, j’avais envie d’écrire sur un homme. »

Par ailleurs, là où Marie-Antoinette déployait ses fastes à la cour de Versailles, Somewhere, s’il n’est pas pour autant dénué de clinquant, en version hollywoodienne toc cette fois, impose une variation de style, osant ce qui ressemble à une forme de naturalisme. « Au sortir de Marie-Antoinette , où il y avait tellement de tout, j’ai voulu en revenir à quelque chose de beaucoup plus minimaliste », approuve-t-elle. Et de préciser sa pensée, devant l’insistance de ses interlocuteurs: « Travailler avec une équipe aussi nombreuse, et sur autant de personnages que dans Marie-Antoinette s’est avéré très compliqué. C’était excitant de me retrouver à Versailles, au milieu des costumes, à tourner un film d’époque, toutes choses que je n’avais jamais faites auparavant. Mais revenir à une production moins ample, et à un contexte beaucoup plus intimiste était sensiblement moins stressant: je pouvais me concentrer sur la relation de ces 2 personnages…  »

Echos du spleen contemporain

La plus grande audace de la réalisatrice est peut-être d’avoir, à cet égard, opté pour une dédramatisation complète. En dehors de l’irruption de sa fille, l’événement le plus spectaculaire à se produire dans la vie de cette star décadente est de s’endormir en faisant l’amour (ce qui, clin d’£il curieux, était déjà le lot de Matt Dillon dans Rumble Fish de Coppola père).  » Somewhere est juste le portrait naturaliste de ce type à cette période de sa vie, sans les éléments dramatiques que l’on retrouve généralement au cinéma. Je ne voulais pas que cela ressemble à d’autres films. »

Ou alors aux siens. Le cinéma de Sofia Coppola est truffé, en effet, de motifs récurrents qui le rendent aussitôt identifiable, et même griffé. Une question de texture, musicale et esthétique notamment, mais aussi de thématique(s), comme cette volonté, inconsciente au besoin, qu’ont ses protagonistes de se soustraire à la vacuité de leur univers. « Si j’envisage mes films dans leur ensemble, il est clair que des thèmes reviennent. Beaucoup de gens créatifs revisitent les mêmes choses. Il y a une continuité, notamment dans le fait que je mets en scène des gens à la recherche de leur identité dans le monde au sein duquel ils évoluent et qu’ils n’ont pas choisi. » Johnny Marco et Marie-Antoinette, même combat, qui pourrait englober les s£urs Lisbon, unies par un destin tragique dans The Virgin Suicides, mais aussi Bob Harris/Bill Murray, Lost in Translation et dans bien d’autres choses encore.

Sofia Coppola, cinéaste du spleen contemporain qu’elle tutoie film après film (et jusque dans Marie-Antoinette, dont elle offrait une relecture moderne)? Voilà qui ne fait guère de doute, chez une auteure qui promène ses protagonistes dans des environnements creux, dont les hôtels composeraient l’écrin naturel, de Tokyo à Los Angeles et son Château Marmont. « Je n’y ai pas vécu, mais je m’y rendais souvent, à une époque. C’était toujours amusant, et intéressant, cet endroit étant peuplé de gens différents, issus notamment du milieu du cinéma. » L’un ou l’autre souvenir personnel s’est d’ailleurs frayé un chemin jusqu’à la toile -ainsi lorsqu’un employé se met à entonner Teddy Bear dans le lobby. « Je me suis souvenue l’avoir entendu chanter cette chanson, tard le soir, pour des gens qui restaient à l’hôtel. Les gens qui travaillent dans cet hôtel présentent un tel contraste avec ceux qui y résident que je voulais montrer l’autre facette de ce monde… »

Mais si la légende du Château Marmont et divers fantasmes hollywoodiens donnent son humeur au film, drôle, émouvante ou pathétique c’est selon, la scène la plus extravagante n’a pas pour cadre L.A., mais bien un palace milanais, où père et fille se retrouvent pour la promotion d’un film -une expérience résolument over the top, empruntée à sa réalité: « Je m’y suis retrouvée, il y a 7 ou 8 ans, avec mes parents et mon frère. Je n’avais jamais vu, auparavant, d’hôtel avec une piscine dans une suite. C’était pittoresque. Quant à l’émission télévisée, le Telegatto , nous y avons participé. Tout cela m’a paru irréel -le seul endroit avec lequel je pourrais comparer, c’est Las Vegas. C’est excessif, mais cela participe de ce monde de festivals et de promotion où l’on trouve une espèce d’opulence qui n’appartient pas à la vie normale.  » Lost in Translation, peut-être, mais pas « on the road to nowhere » pour autant…: « Cleo va bien s’en sortir, assure-t-elle à propos de la jeune héroïne de son film. Je connais la fille dont elle est inspirée, elle est intelligente et va tout à fait bien. » Un moment de flottement plus loin, et la voilà qui sourit: « Non, je ne parle pas de moi, mais bien sûr que je peux la comprendre. Je pense que l’on peut vivre dans ce monde, comme je l’ai fait, et être OK. »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

JE SUIS TRÈS FIER D’ELLE. AU DÉBUT, POUR VIRGIN SUICIDES ET LOST IN TRANSLATION, ELLE S’APPUYAIT BEAUCOUP SUR MOI. MAINTENANT, ELLE A CONFIANCE EN ELLE, ET SA PROPRE MANIÈRE DE FAIRE LES CHOSES, DONC BEAUCOUP MOINS. JE CONTINUE À VOIR SES FILMS À UN STADE PRÉCOCE, MAIS PLUS AUSSI TÔT QU’AUPARAVANT. ELLE EST DEVENUE BEAUCOUP PLUS AUTOSUFFISANTE.

FRANCIS FORD COPPOLA

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