Au coeur des ténèbres

© ROMAIN GARCIN

Un an après le carton d’Ipséité, le rappeur bruxellois ne cède rien de sa noirceur, confirmant sa place au sommet du hip-hop francophone.

Depuis le début, Damso a un plan. C’est du moins ce que l’intéressé affirme, sans que rien, jusqu’ici, ne permette d’en douter. Le rappeur bruxellois s’attendait-il pour autant à un tel succès? Était-il préparé au tourbillon qui a succédé à la sortie d’ Ipséité, il y a un peu plus d’un an? Au prix d’une polémique footballistique post-Weinstein, la star est même devenue « phénomène » de société, passant de la rubrique culture aux pages opinions, désormais aussi reconnu par les ménagères de moins de 50 ans. De cet emballement, l’intéressé aurait pu ressortir lessivé (lire aussi notre décryptage la semaine passée). Il faut croire que l’adversité lui va bien: son nouveau Lithopédion est un nouveau coup de maître. Un disque qui, s’il n’enchaîne pas les fulgurances comme son prédécesseur, creuse plus profond, ne cédant rien de sa vulgarité (une outrance pour deux considérations plus existentielles), tout en affinant le propos musical.

Nwaar, c’est noir

Le succès isole, c’est bien connu (aucun invité ici pour partager le micro, hormis Angèle qui chante et signe la production de Silence). Il étouffe aussi. C’est un peu le sens de Lithopédion, qui désigne le foetus issu d’une grossesse extra-utérine et qui, au lieu d’être expulsé, se calcifie dans le corps de la mère. Derrière l’anomalie médicale, c’est la métaphore d’une âme morte enfermée dans un corps en vie que veut suggérer Damso. Comme si lui-même se sentait coincé, bloqué.

L’album démarre donc là où son prédécesseur se terminait: sur un lit d’hôpital. Sauvé par « son flow » (le morceau Une âme pour deux), Damso est tiré d’affaire. Mais tout se passe comme si, après avoir recouvré ses esprits, le rappeur avait pris la réalité en pleine tronche – « C’est rien de bien méchant, il m’a juste traité de nègre des champs », rappe-t-il, en intro, énervé comme rarement-, et avait préféré replonger dans le coma. Bien plus qu’ Ipséité, Lithopédion est ainsi un disque drogué, qui cherche dans les opiacés un moyen de s’évader, notamment du piège de la notoriété: du bluffant Festival de rêves et son texte-palindrome (dont les choeurs ne peuvent cacher l’influence de… Mylène Farmer), aux délires « foncedés » de Tard la night, en passant par Aux paradis (dont le beat 2-step rappelle Gova).

Au coeur des ténèbres

Ce troisième album n’est pourtant pas le disque d’un rappeur qui, anesthésié par la gloire, ne trouve plus rien d’autre à dire que de rabâcher sur sa réussite. Plus solitaire que jamais, Damso fait remonter les détails persos (souvenir d’une agression dans le métro Montgomery, sur Baltringue), pour mieux disséquer l’universel -à l’image de la pochette, dont l’oeil renferme l’univers. L’illustration la plus frappante est évidemment le morceau Julien, évoquant la pédophilie du point de vue du bourreau, sur une production quasi pop.

Misanthrope (plus que misogyne), plus très loin du commentaire social (le morceau Humain), ni de la confession la plus crue ( William), Damso a toujours carburé à la noirceur, cachant mal son dégoût de l’être humain. Lithopédion en est une nouvelle preuve: rarement dans le rap français aura-t-on remué les marécages de l’âme avec autant d’insistance.

Damso

« Lithopédion »

Distribué par Universal.

8

Le 29/06 à Couleur Café, et aux Ardentes le 05/07.

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