Carl Roosens: « On est toujours un peu la copie d’un autre »

Carl (au milieu) et ses Hommes-Boîtes. Le coronavirus n'a qu'à bien se tenir. © ALICE KHOL
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Serial promeneur, Carl Roosens raconte le nouvel album des Hommes-Boîtes en faisant visiter Jette. Bizarre, bizarre…

La Copie d’un autre s’ouvre sur des bruits de pas. Carl Roosens a toujours aimé marcher. Que ce soit autour d’un lac, dans le centre de Jette ou une petite rue en côte. La promenade l’inspire. Elle est même souvent le théâtre de ses observations. Plutôt que de causer autour d’un café, le Bruxellois est passé nous chercher à la gare, à pied forcément. Il raconte le disque des Hommes-Boîtes et son rapport à la balade sur le chemin de la Grotte Notre-Dame de Lourdes, improbable réplique jettoise du haut lieu de pèlerinage pyrénéen. « La marche est vraiment liée à mon processus d’écriture et de création. Lorsque je suis seul chez moi et que rien ne sort, il faut que je bouge pour libérer tout ça. Observer les tronches, les rues… C’est là que tout s’ouvre. Aussi bien en musique qu’en animation, d’ailleurs. Ça débloque un tas de choses. J’ai un carnet. Je prends des notes. Je marche depuis deux heures comme un con et puis il y a quelques phrases qui sortent. Du coup, je fais le tour du bloc quatre ou cinq fois pour étoffer. C’est le fait d’avoir le corps en mouvement, je pense. Tout simplement de se déplacer, de sortir de sa bulle. J’ai du mal à dire pourquoi, comment… C’est physique. »

Carl et ses Hommes-Boîtes ont eu le temps d’en faire des kilomètres. Sept ans se sont écoulés depuis leur dernier album: La Paroi de ton ventre. Le dessinateur, vidéaste, poète, musicien, chanteur ou du moins parleur a sorti un disque de rock barré avec Facteur Cheval, un album de rap surréaliste avec Peritelle. Il a monté un projet pour enfants, Le Petit Poucet et l’Usine à saucisses, avec le duo punk électronique Savon Tranchand. « On manipulait du papier découpé sur rétroprojecteur. Ça mélangeait ombres et chanson. » Il a aussi réalisé un film d’animation (Je ne sens plus rien) avec Noémie Marsily. « On a laissé couler. On a tous nos projets à côté. Pascal Matthey est auteur de bandes dessinées. Il possède un univers intimiste attaché à l’enfance. C’est super épuré, poétique, minimaliste et beau. Son dernier bouquin est sorti chez L’Employé du moi. Emmanuel Coenen, lui, a d’autres groupes et a aménagé un studio à Nivelles. »

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Carl. Puis Carl et les Hommes-Boîtes. Et maintenant Les Hommes-Boîtes tout court… Roosens se cache, s’efface, se fond. Si le projet s’est resserré autour des trois hommes et de leurs envies de machines, La Copie d’un autre est narrativement éclaté. Carl y observe en mode dancefloor sa fille de cinq ans se forger une personnalité et s’éloigner (Le Froid de ta main), parle du plongeon dans le noir quand on va se faire une toile (Film) et fait muter un de ses cauchemars (Voies). « On est sur un quai de gare. Je vois des personnes assez proches s’écrouler et je ne fais rien pour elles. Je les aime bien mais je n’ai pas envie de les sauver ou d’aller les prendre dans mes bras. »

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Les Choolers, Jean Reno et Céline Dion…

Il est comme ça le garçon. Capable de chanter que « les humains sont des tuyaux avec de la viande autour« … Névrosé? Angoissé? « Je ne sais pas. Préoccupé en tout cas. Tout le temps. Toujours en mouvement. Il y a un tas de trucs qui tournent en boucle. Cet album s’appelle La Copie d’un autre notamment parce que je gravite toujours autour des mêmes thématiques. Ces promenades, ces observations, cette conscience de la boucle, d’inlassablement raconter… Je parle quand même souvent de gens qui se déplacent, qui se transforment, qui s’abîment en se déplaçant. »

Jean Reno, le titre d’ouverture de l’album, est d’ailleurs un morceau de promenade. « Je remontais un faux-plat sans fin et je me suis mis à marcher très lentement, à observer. À regarder à travers les rideaux ou ce que les gens mettaient à leurs fenêtres… C’est toute une réflexion qui renvoie au titre de l’album. Tu croises des visages. Tu as cette impression que tu les as déjà vus quelque part. Et donc, je me dis qu’on est toujours un peu la copie d’un autre. Qu’on a cette sensation d’être unique, d’avoir une démarche, une pensée différente mais au fond on se fond toujours dans une espèce de masse. On ne peut pas lutter contre le courant. » Dans Jean Reno et son minimalisme techno, aussi étonnant que cela puisse paraître, Roosens paraphrase Céline Dion, reprenant un bout des paroles de Pour que tu m’aimes encore. Le flash lui est venu lors d’un atelier avec des personnes handicapées. « Elles connaissaient à fond. Elles chantaient. J’ai trouvé ça magnifique. Il y a des mots très simples qui, dans la bouche de certains, sont beaux à mourir et qui, dans les arrangements et la voix poussive d’une autre, sont tout bonnement insupportables. Je trouve splendide une chanson d’amour comme celle-là quand elle sort d’une personne trisomique. »

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Le Bruxellois a réalisé deux clips pour le Wild Classical Music Ensemble et a travaillé avec les Choolers. « C’est un monde que j’ai découvert. À la base, j’étais un peu tétanisé, hyper impressionné. Je me suis tout pris dans la gueule. Toutes ces personnalités. Ce sont des gens que tu ne vois pas dans la rue. Au mieux, tu te retournes dans le métro en te disant qu’ils font des bruits bizarres. La première fois avec les Choolers, ça ne s’est pas super bien passé. Kostia a simulé un évanouissement. Je ne savais pas comment réagir. J’étais hyper paniqué. Apparemment, il fait toujours ça quand il n’a pas envie de bosser. Ça a été une vraie rencontre. Ça a validé des choses que j’avais entamées. Ce sont des alter ego. Ils font leur truc sans réfléchir, sans se poser de questions. Et ils le font avec énergie. J’ai rencontré des artistes dans la même démarche que moi. »

Des artistes qui comme lui s’illustrent dans toute leur singularité.

« Dans mes textes, j’utilise la fiction pour aller ailleurs. J’aime pousser les traits, déplacer le réel sur le côté pour créer des anomalies. C’est ce qui me plaît chez Cronenberg, par exemple. Un contexte très réaliste puis un bazar super bizarre, des VHS qu’on s’enfonce dans le ventre. J’adore ces petits écarts qui font les grandes étrangetés. »

La Copie d’un autre, distribué par GniGniGniGniGni. ****

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