Que seraient les groupes sans les technicos qui, de festivals en podiums, gèrent sonorité, yeux et estomacs? Hassan, mixeur, Thyl, décorateur, et Véronique, princesse des fourneaux, témoignent de la tambouille interne.

L’oreille d’Hassan

 » Nous, le personnel technique, sommes le petit microcosme qui ne voit pas le soleil ». Hassan Chaïdi, 35 ans, sourit. Bonne tête méditéranéenne pour cet ingé son, engagé au Botanique il y a 12 ans: il y conseille les mixeurs en visite et met lui-même la main aux manettes.  » Un son n’est jamais gagné mais la Rotonde où je travaille principalement est un endroit magique. Techniquement, elle est très avancée: il y a 1,6 dB de réverbération, ce qui est exceptionnel. » Et le voilà clignant des yeux ourlés à sa console digidesign SC48, increvable machine à digitaliser les émotions. En début d’histoire, ce kid d’une famille marocaine, né dans le Borinage, ne termine pas sa première année à l’IAD et file 6 mois à Londres. Il en revient en  » feu », décroche le Graal du Bota, puis… fait 5 fois le tour du monde.  » Il y a eu un showcase chez Dan Lacksman et, par hasard, Daniel Powter m’a entendu et engagé. » Tournées mondiales barnumesques avec le Canadien aux 6 millions d’albums, premières parties de Bryan Adams, où on laisse généreusement un quart d’heure à Hassan pour régler le son,  » principe dans les mentalités anglo-saxonnes ». Là, il gagne quasi en une soirée l’équivalent d’un salaire Bota mais la naissance d’un fils il y a 4 ans freine ses envies mondialistes. Avec l’anglo-indienne Susheela Raman, il mixe au  » gigantesque » Glastonbury et tâte des énormes Vieilles Charrues bretonnes. Training adéquat pour sa prochaine prestation le 23 juillet aux Francofolies de Spa avec Bai Kamara Jr, Sierra-Léonais de Bruxelles, le même soir que Souchon et Renan Luce:  » L’idée, c’est de ne rien demander à personne et d’offrir au groupe les meilleures conditions possibles, sans pression. A Spa, le danger, ce sont ces briques de la Place qui provoquent de la réverbération et, surtout, de la réflexion. Le calage doit être précis! »

L’oeil de Thyl

Thyl Beniest est en tenue de combat: marcel et paluches à tout faire. A jour J-9 de l’ouverture de Couleur Café, le décompte est serré, le béton -matière 2010- coulé et le décor, quasi paré. Depuis 16 ans, ce quinqua est à la tête de la déco du site Tour & Taxis version CC:  » Un lego géant: on vient d’une époque dinosaure où on avait beaucoup de place, mais l’immobilier progressant, on doit penser en termes de léger, d’aérien, de rangement horizontal: tout va filer dans des containers. » Couleur Café est l’un des rares festivals où le visuel compte. Souvent coloré sous inspiration mondialiste.  » Cela représente 6 % du budget du festival et un boulot de plusieurs mois en équipe. » En 2007, les 600m2 des ateliers tout juste aménagés crament, et Thyl déprime.  » On s’en est remis et notre boulot est resté le même: réaliser un truc qui ne se remarque pas mais sans lequel ce ne serait pas CC. » Au programme 2010, 32 lestes de béton serviront de porte-drapeaux aux côtés de constructions en frigolite-tissu, inspirées d’habitations africaines,  » une impression d’intimité, comme si quelqu’un te prenait dans ses bras ». Ce photographe de formation travaille aussi dans le spectacle -régie lumières- et pour des festivals tels que Balkan Trafik, mais restera à CC tant que  » ce ne sera pas en contradiction avec (m)es convictions profondes ». Parfois effrayé par la dimension de la manifestation, il sait que chaque édition est un pari:  » Il faut oublier ce que l’on a déjà fait, si tu penses que tu maîtrises, c’est trop tard… « 

Les parfums de Véronique

 » J’ai travaillé au Sfinks pendant plusieurs années, la cuisine était derrière la scène et cela pétaradait constamment. Quand Nusrat Fateh Ali Khan (légende de la musique soufie au physique d’Orson Welles pakistanais, ndlr) débarque, c’est avec son propre cuisinier: je ne saurai jamais si c’était parce que j’étais une femme ou parce qu’il voulait sa propre nourriture. Ils avaient commandé une fabuleuse quantité d’£ufs… Je me souviens aussi de Cesaria Evora qui voulait toujours des frites et des Cubains du Buena Vista sur un nuage… » Née début 1958 dans une province nord du Congo, Véronique Delvaux a longtemps nourri les musiciens et local crew des festivals (Sfinks, Esperanzah, Beach) . Il y a 20 ans, un promoteur bruxellois lui demande de bourlinguer une charlotte aux marrons pour Carla Bley et lui  » fait franchir la porte de la cuisine par le jazz ». Sans formation particulière mais avec un sens légal des proportions, elle travaille des plats mijotés, susceptibles d’être réchauffés sans perdre leurs parfums.  » L’ancêtre du slow food », précise cette fille cool, qui aime les légumineuses et reprend les recettes confiées par les affamés de passage, feijoada brésilienne ou poulet à l’arachide congolais.  » Une nourriture qui nécessite de s’asseoir à table. Familiale et roborative, mais pas bourrative. Pas de steak-frites parce que le steak n’attend pas. » Partisane des sucres lents et des patates douces, qui boostent le musicien comme un cycliste en côte. « Souvent la star est un alibi, de fait, on nourrit plein de gens. » Elle « craque » pour la gentillesse de Paolo Conte mais ne satisfait pas John Mayall, dit-elle en saupoudrant le repas du soir de coriandre. Depuis 5 ans, Véronique travaille essentiellement au KVS à Bruxelles, où défilent artistes du monde entier. Elle nous fait goûter un morceau de lapin et nous corrompt via un cake banane/poire: quand les estomacs sont contents, c’est bien connu, le larynx chante.

Texte Philippe Cornet

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