Certes, il y avait bien eu David Cronenberg adaptant The Naked Lunch de William S. Burroughs en 1991. Ou Gus Van Sant conviant ce même Burroughs à participer, deux ans plus tôt, à Drugstore Cowboy; un Van Sant dont le My Own Private Idaho renouerait, d’ailleurs, comme peu d’autres films, avec l’essence même du mouvement beat. Rien de comparable, toutefois, avec la véritable déferlante qui s’est abattue sur les écrans ces dernières années, résultant dans les sorties successives de Howl de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, On the Road de Walter Salles et, aujourd’hui, Kill Your Darlings de John Krokidas (et l’on ne mentionnera ici que pour la forme le Big Sur de Michael Polish, inédit, où Jean-Marc Barr tient le rôle de Jack Kerouac): à croire que la Beat Generation n’a jamais été autant présente dans les esprits.

A ce phénomène, John Krokidas, qui a dû batailler dix ans afin de monter son film, voit d’abord une raison objective. Et d’opérer un bref retour en arrière, lorsque, affairé à la préparation de Kill Your Darlings, il apprit l’imminence de la sortie de Howl, consacré au même Allen Ginsberg: « Cela n’a jamais constitué un problème à mes yeux, même si cela a engendré un hiatus de quelques mois, pendant lequel nous nous posions deux questions, à savoir comment ce film serait reçu, et s’il s’agissait d’un projet concurrent. A partir du moment où il est apparu que les deux approches étaient à ce point différentes, on a assisté à ce phénomène curieux voulant, par exemple, qu’il y ait toujours deux films d’avalanche au même moment. Cette concurrence a aidé notre projet, le label Ginsberg étant apparu viable. Les films fonctionnent, en définitive, la main dans la main. Et j’espère que dans une dizaine d’années, il se trouvera des programmateurs pour montrer cette trilogie beat à la suite, parce que ces trois films sont fort différents. Howl est la transcription ginsbergienne, explosive et vivante, d’un poème; On the Road est une adaptation respectueuse du roman de Kerouac; quant à moi, avec Kill Your Darlings, j’ai en quelque sorte l’impression d’avoir tourné le X-Men: First Class des films beat: c’est le récit des origines, une histoire d’amour qui parle d’un meurtre, et d’une relation romantique toxique cruciale dans le parcours d’Allen Ginsberg pour trouver sa propre voix et devenir un artiste. »

Au nom de la contre-culture

Pourquoi ce soudain regain d’intérêt? « L’une des raisons pour lesquelles je suis tombé amoureux de ces types, c’est qu’ils ont créé une contre-culture qui a persisté des années 50 au mouvement hippie dans les années 60, puis au punk rock dans les années 70, et jusqu’à Kurt Cobain travaillant avec Burroughs dans les années 90. Où est la contre-culture aujourd’hui? Cela me manque. » Si ce ne fut pas la seule, entretenir cet héritage, sinon raviver la flamme, fut donc l’une des motivations du projet: « Si mon film aide le public de Daniel Radcliffe et cette génération à trouver les beats, et les encourage à chercher leur voix propre, leur littérature et à créer leur mouvement culturel, je considérerai que c’est un succès, poursuit John Krokidas. Un de mes grands objectifs artistiques était de tourner un film accessible aux jeunes. Nous avons tous vu, à 15 ou 16 ans, des films qui nous ont encouragés à combattre le système et à trouver notre propre voix. » Walter Salles n’exprimait au fond pas vraiment autre chose au moment d’adapter On the Road, le mythique rouleau de Jack Kerouac, entreprise sur laquelle un Francis Ford Coppola s’était auparavant cassé les dents: « Ce que dit Kerouac, c’est qu’il faut développer une conscience critique, avoir des expériences personnelles et non vivre à travers le regard des autres ou par procuration. Il n’y a pas de substitut à l’expérience. » Constat traversant le temps et les (contre-)cultures; and the Beat Generation goes on…

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