LA COLD WAVE, LA NEW WAVE, ETIENNE DAHO, TAXI GIRL ET LES SYNTHÉS GLACÉS INSPIRENT LES NOUVELLES GÉNÉRATIONS, DE LESCOP À LA FEMME, QUI S’APPROPRIENT ET RÉINVENTENT LES ANNÉES 80 EN FRANÇAIS. ET EN TOUTE LIBERTÉ.

Ils ont tourné en Angleterre et aux Etats-Unis. Ce qui n’est déjà pas donné, pour des petits Frenchies même pas en âge d’y siffler une bière. A fortiori quand ils chantent dans la langue de Daniel Darc et qu’ils n’ont pas encore d’album sous le bras. Pour l’instant, les mecs et la fille (voire les filles) de La Femme vendent des CD gravés avec des pochettes personnalisées dessinées à la main. Les titres des chansons ne sont pas indiqués sur l’emballage. Quelques disques vierges se sont même apparemment frayé un che- min dans le merchandising. « Le Do It Yourself, le vrai, c’est ça. Presser ou graver toi-même les disques, en gérer la distribution, racontent Marlon et Sacha. Pour l’instant, on est dans l’entre-deux. On a autoproduit notre premier album prévu pour le printemps mais on a déjà négocié avec Because et Barclay. Faut pas croire, les indés pensent aussi au fric et les majors à la musique. »

Si leurs acolytes viennent de Marseille, de Bretagne et de Paris, Marlon et Sacha sont originaires de Biarritz. De vrais amateurs de surf qui mouillent le maillot. Pas de vils récupérateurs comme les Drums (Let’s go surfing) qui n’ont jamais vu d’autres planches que celles à repasser sur lesquelles ils apprêtent leurs vêtements trop cintrés… Les guitares de plage pleines de reverb, La Femme aime cependant les mêler aux sonorités froides des années 80. Le père de Sacha faisait partie du groupe de synth wave français Performance. « Mais je n’ai pas spécialement baigné là-dedans quand j’étais gamin. On n’en a d’ailleurs pas vraiment parlé à la maison. » En attendant, le clavier français les excite. Deux, A Trois Dans les WC… Tous ces groupes qu’a rassemblés le label Born Bad sur sa compilation BIPPP: French Synth Wave 1979/85, lui touchent l’oreille…

Avec pratiquement dix ans de retard sur les Anglo-saxons, les Interpol, Editors, et ceux aussi dont le certificat de décès a depuis longtemps été rédigé, la pop et le rock en français puisent allègrement ces derniers temps dans la froideur des années 80.

« Il y a une noirceur dans ces trucs eighties qui nous plaît bien. Mais si on apprécie Taxi Girl, on adore plein d’autres trucs plus anciens comme le Velvet, Kraftwerk… Puis, on est branché zazou et yéyé. On se sent à la fois proche de groupes comme Mustang et de mecs comme Lescop. On a des points communs. On partage quelques références. Mais à côté de ça, on ne fait pas du tout la même chose. »

Lescop justement, Mathieu de son prénom, prend avec des pincettes l’étiquette eighties qu’on ne cesse de lui coller sur le paletot. Il y a bien chez lui et ses congénères une mélancolie, un côté sombre qu’on associe à tout un pan de cette décennie. « La musique, c’est ma manière de vivre avec. De les transcender. Les concerts me servent à purger. Avec du volume. De la violence. Rien ne me déprime plus que les chansons gaies. Les mecs qui te racontent leur rendez-vous chez le coiffeur et leur chouette soirée entre potes… »

Mais Lescop se sent tout sauf monomaniaque. Lui l’ancien punk qui a mené la destinée d’Asyl. « Nous ne sommes pas des chanteurs des années 80. Si tu avais fait écouter La Femme et Lescop aux gens dans le temps, ils se seraient demandé ce qui leur arrivait. Les médias ont tendance à exagérer les ressemblances avec l’époque. Un peu comme au début des années 90, ils enfermaient Oasis dans le rayon Beatles et les emprunts à John Lennon. Aujourd’hui, tout le monde a saisi les différences qui séparent les frères Gallagher et le band de Liverpool. Je pense que ça fera pareil avec nous. »

Quand il dit nous, il pense à La Femme, Aline, Mustang… A tous ceux qu’on réduit et renvoie parfois un peu trop vite à cette fameuse décennie que certains d’entre eux n’ont même pas connue. « Les gens cherchent des repères. Se demandent ce que de nouvelles choses évoquent en eux. Ce qu’elles leur rappellent. Mais nous ne sommes ni des cover bands ni des revivalistes. Nous avons une culture assez moderne. »

Quand La Forêt cache l’arbre

Tout le monde connaît l’arbre qui cache la forêt. Avec Lescop, c’est plutôt La Forêt, son tube, qui a tendance à cacher l’arbre. « Ce titre, au début, c’était une démo très psyché, pleine de reverb. Mais avec Gaël (son acolyte musicien graphiste, ndlr), on y a ajouté une ligne de basse syncopée, une boîte à rythmes. Il a alors pris une esthétique new wave et synthétique. » Il a aussi ce côté franchement Etienne Daho qui semble désormais lui coller aux basques. « Tu chopes un plan pour un passage d’un morceau et tu te retrouves vite catalogué… Gamin, j’étais déjà fasciné par le mec, le personnage. J’apprécie sa démarche, son côté sophistiqué… Mais j’ai piqué plein de trucs à d’autres types que Daho. »

Pour Lescop, créer, c’est voler. Voler mais pas plagier. « Et quand tu as volé, c’est à toi« , renchérit-il. « On me parle beaucoup des eighties mais elles ne sont qu’une petite partie de ce que je suis. Etant né en 78, les années 80 représentent surtout l’enfance. Mais le plus important pour moi, ça a été les années 50 et 60. Les Doors, Presley, Cochran, Buddy Holly. Après, la grosse révolution, la méchante claque, je la dois à Nirvana. C’est grâce au groupe de Seattle que j’ai découvert David Bowie. Le premier morceau que j’ai entendu du Thin White Duke, c’était la reprise par la bande à Cobain de The Man Who Sold the World. Avec la connexion Berlin, je me suis intéressé à l’électro. Puis à la new wave. »

Quand on lui parle de Ian Curtis, de la cold wave, de Manchester, Mathieu Peudupin (c’est son vrai nom) garde encore et toujours soigneusement ses distances. « La cold wave à mes yeux, c’est du punk avec des paroles plus intelligentes. Les références à Burroughs, à Baudelaire… Le romantisme noir. Mais moi, je fais quelque chose de beaucoup plus léger que Joy Division. Hier, j’étais dans un bar, les mecs devaient sans doute pas savoir que j’étais là et ils ont passé mon album du début à la fin. Tu connais beaucoup de cafés qui diffusent Unknown Pleasure dans son intégralité? Mon disque a une facette sombre mais aussi un côté pop et facile d’accès. »

A ceux qui lui reprochent d’imiter sur scène la gestuelle de Curtis, Lescop répond qu’on ne peut pas danser du tango sur du punk. Pas faux.

Cycle musical et morosité ambiante

Depuis que Daniel Darc, Daho et Mirwais avaient abandonné le terrain, il n’y avait pratiquement plus qu’Indochine (super…) pour entretenir la flamme des années 80 dans l’industrie du disque française. Si aujourd’hui Benjamin Biolay lorgne du côté de la new wave et de la grosse basse eighties sur plusieurs titres (les moins bons) de Vengeance, son dernier album, les groupes de synth pop se bousculent depuis quelques années déjà dans les caves parisiennes. Redonnant un petit coup de peps à cette vieille mouvance underground. Et les années 80 se réinventent souvent en français…

Pour Lescop, l’anglais dans la pop et le rock de l’Hexagone incarne de toute façon le nivellement par le bas. « 99,9 % des groupes français ne savent pas le parler. Ou du moins s’expriment très mal. L’accent est nul. Les textes sont vides et mal torchés. Poni Hoax s’en sort très bien par exemple. Mais pour combien d’autres types qui font semblant et tentent juste de masquer leurs limites… Si tu cherches la facilité, faut pas faire de la musique. Un hobby ne fait jamais un bon groupe. »

Aline (Marseille), Cracbooms (Auvergne), Granville (Caen), Pendentif (Bordeaux)… Une horde de projets, plus ou moins heureux, venus des quatre coins de la France, pimentent aujourd’hui leur pop de sonorités et mélancolie eighties dans leur langue maternelle. Pourquoi maintenant? La morosité ambiante, la crise, et la sinistrose actuelles ne sont pas sans rappeler l’industrie abîmée et la situation inquiétante de la Grande-Bretagne fin 70 début 80.

Alors Lescop and friends, porte-drapeau d’une génération froide et désabusée? « Les gens de mon âge sont sans doute les premiers à ne pas avoir l’impression d’appartenir à une génération. L’individualité a pris le pas sur l’unité. C’est bien aussi. Je ne suis pas un égoïste mais je me construis comme un individu. Mon disque est le résultat d’un combat personnel. J’ai dû retrouver des jobs alimentaires, faire le ménage pour pouvoir l’enregistrer. »

Lescop a d’autres ébauches d’explications. Le côté cyclique de la musique notamment. « Un cycle que j’estime durer entre 25 et 30 ans. Mais je parle seulement de références. A partir de là, nous créons le son de notre époque. Tout est dans tout. Ian Curtis était fan de Jim Morrison… »

TEXTE JULIEN BROQUET

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