Le tombeau d’Alexandrie – Alejandro Amenabar signe une fresque historique étrange, un péplum au croisement de l’action et de la réflexion. Hybride mais envoûtant.

De Alejandro Amenabar. Avec Rachel Weisz, Max Minghella, Oscar Isaac. 2 h 21. Sortie: 21/04.

Le parcours d’Alejandro Amenabar ne laisse pas d’étonner qui, après une remarquable trilogie de films fantastiques, l’a vu se risquer au mélodrame le temps de Mar adentro, avant de s’atteler aujourd’hui à un genre vieux comme le monde, ou peu s’en faut, le péplum. Agora n’est toutefois pas un banal péplum comme Hollywood et Cinecitta en produisirent à foison: si l’on s’y étripe volontiers, le film se veut aussi théâtre d’une réflexion philosophique à la résonance contemporaine, non sans, d’une certaine manière, s’affirmer en manifeste féministe.

L’histoire nous amène à Alexandrie, dans l’Egypte sous domination romaine, au IVe siècle après Jésus-Christ. Alors que monte des rues de la ville la rumeur de la révolte et de l’avènement violents des Chrétiens, Hypatie, philosophe doublée d’une brillante astronome, dispense son enseignement réfugiée dans la grande Bibliothèque. Parmi ses disciples, Oreste et Davus se disputent ses faveurs, triangle platonique qui sera bientôt emporté par le cours fiévreux de l’Histoire: toujours plus nombreux, les Chrétiens investissent les lieux en même temps qu’ils annexent le pouvoir, mettant les autres religions, juive et païenne, hors-la-loi, et en conséquence Hypatie avec elles…

Pensée vs obscurantisme

Sortie par Amenabar des plis de l’Histoire, cette dernière, que campe avec élégance et détermination Rachel Weisz, est assurément un personnage fascinant, puits de savoir et de sagesse, livré à la vindicte d’un peuple chrétien faisant rimer prosélytisme et obscurantisme. Au-delà du portrait d’une belle personne, héroïne hors normes pour temps incertains, c’est là que réside le nerf d’un film qui instruit une utile réflexion sur la liberté de pensée, et les dangers du fanatisme religieux. Soit un message dont la portée dépasse allègrement les frontières de l’Antiquité -les hordes dépenaillées et brutales de chrétiens intégristes vues ici ne sont jamais que l’une des émanations d’une intolérance ayant traversé les époques au nom de religions diverses. Un mouvement cyclique, dont on ne finit plus d’entendre les échos assourdissants.

Fort de ce principe, Amenabar a parfois la main un peu lourde, et son film frôle, à plus d’une reprise, la rupture d’équilibre. En cause, la difficulté manifeste de courir plusieurs lièvres à la fois, qui donne par moments à Agora des allures d’hybride étrange, en même temps que certains collages y apparaissent fort artificiels; en cause, aussi, une esthétique parfois outrancièrement kitsch, même si l’on saluera le soin apporté à la reconstitution d’Alexandrie, pour une £uvre gonflée à divers égards. Cela posé, ce curieux mélange d’action et de réflexion métaphysique, de trivialité et de lumière réussit à fasciner de bout en bout. La leçon d’histoire d’Alejandro Amenabar n’est certes pas dénuée de panache, et sa portée, même lestée de l’emphase propre au péplum, incontestable.

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Jean-François Pluijgers

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