DU RAP AU CINÉMA. COMME 50 CENT, EMINEM OU SON COMPLICE JOEYSTARR DANS NTM, KOOL SHEN PROUVE QU’IL A AUSSI DU RÉPONDANT DANS ABUS DE FAIBLESSE, LE NOUVEAU FILM DE CATHERINE BREILLAT.

Nous sommes samedi, jour de match pour les équipes de football. Et Kool Shen parle à son fils, via son téléphone portable. Le gamin a gagné, il a même marqué. C’est un papa fier et radieux qui vient se rasseoir pour évoquer son premier rôle majeur dans un film. Pull noir à col roulé, ajusté, regard de braise sur un bouc taillé net, le rappeur de NTM rayonne en se remémorant une expérience qui lui vaut une reconnaissance nouvelle, déjà goûtée par son complice JoeyStarr, désormais considéré comme un acteur à part entière après ses rôles dans Polisse et Une autre vie (en attendant le Colt 45 de notre compatriote Fabrice Du Welz). Le natif de Saint-Denis, déclaré Bruno Lopes à l’état civil un jour de l’hiver 1966, fait forte impression dans Abus de faiblesse, le nouveau film de Catherine Breillat.

« Je n’étais pas du tout prédestiné à devenir acteur, mais j’ai tout de suite senti des émotions qui me poussaient, me nourrissaient. Et maintenant j’ai l’envie, je vais faire d’autres films. Il y en a déjà trois ou quatre de prévus… » Le néophyte a immédiatement pris goût à une forme d’expression vers laquelle il n’est venu au départ que « par pur hasard« . « C’est Catherine qui m’a fait contacter via un intermédiaire (devenu mon agent depuis), se souvient Kool Shen. J’y suis allé à reculons au début, j’avais plein d’autres choses à faire (en plus de la musique, je suis joueur de poker professionnel). Et puis je n’étais pas certain du tout d’être capable. D’ailleurs je ne le suis toujours pas totalement aujourd’hui… » Son entourage a su trouver les mots pour le décider: « C’est un film de Breillat, avec Isabelle Huppert, tu ne vas quand même pas louper ça!? » Et notre homme d’aller passer les essais, de faire connaissance avec sa future réalisatrice (« Une grande rencontre, humainement parlant« ). Ainsi commença ce que le chanteur devenu acteur appelle toujours « une aventure« …

Huppert? Super!

Kool Shen a découvert, sur le plateau de Breillat, une nouvelle contrainte: celle de la gestion du temps, et des moments d’attente. Il connaissait celle du studio, et du poker. Il a dû apprendre « à meubler tout ce temps vide entre les prises. » Sa solution? « Un ordi, une connexion Internet, et jouer au poker online!« , éclate-t-il de rire avant d’évoquer « cette latence assez pesante pour quelqu’un qui comme moi est dans l’énergie constamment, dans l’urgence de créer -une frénésie qui correspond bien au studio d’enregistrement musical car il s’y passe toujours quelque chose même quand on a l’impression qu’il ne s’y passe rien! » Kool Shen révisait aussi les scènes à tourner (« Je n’arrivais pas trop free style…« )

« Huppert? Super!« , sourit encore celui dont sa réalisatrice n’a pas voulu qu’il rencontre sa partenaire avant le tournage. « J’avais pourtant envie de la rencontrer, explique- t-il, pour lui dire: « Voilà, moi j’arrive, je suis vierge, je vous donne les clés, j’accepte tous vos conseils…. » Catherine a dit: « Non! On ne rencontre pas les acteurs avant le film! » « Nous nous sommes donc vus sur le plateau, et quinze minutes après on tournait, raconte le rappeur, Isabelle ne s’est pas contentée de jouer ses répliques, elle était là pour mes contre-champs, elle ne m’a jamais laissé me prendre les pieds dans le tapis. Avec moi, elle a été géniale! »

La peur de mal faire, il l’avait un peu, lui qui avoue « n’avoir jamais été plus malheureux que quand on avait raté un concert, avec NTM. » Il s’empresse d’ajouter que « ça n’est heureusement pas arrivé souvent dans notre carrière, et c’est tant mieux car quand je ne suis pas bon à ce que je fais, mon monde s’effondre… » Kool Shen se plaît désormais au cinéma mais rien ne remplacera jamais pour lui « ce phénomène organique intense qu’est la scène, cette réalité du concert qui fait qu’aucun n’est jamais pareil à un autre, par l’échange entre Joey et moi, entre le public et nous deux…. Pour faire rigoler, sur le tournage d’Abus de faiblesse, je disais parfois après une prise: « On ne m’applaudit pas, là? J’ai été bon, pourtant! » J’adore trop ce retour immédiat qu’offre la scène… Peut-être le théâtre donne-t-il ça aussi… »

L’origine autobiographique du film? L’interprète élu par Breillat en a perçu les échos « dans certains moments d’émotion extrême où ses yeux se mouillaient, où soudain ce n’était plus simplement un film pour elle… » Et le propre regard noir du rappeur aux traits émaciés brille un peu, aussi, à ce souvenir.

RENCONTRE Louis Danvers

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