La vie après la mode. Tom Ford adapte Christopher Isherwood dans un film lumineux, méditation sur le deuil et la solitude transcendée par un exceptionnel Colin Firth.

De Tom Ford. Avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult. 1 h 39. Dist: Twin Pics.

Consacrant le passage derrière la caméra du styliste Tom Ford, A Single Man restera assurément comme l’un des films majeurs de ces derniers mois, l’élégance feutrée de sa mise en scène apparaissant comme le prolongement idoine des sentiments qui s’y déploient -rarement, à vrai dire, avait-on vu méditation aussi profonde et raffinée sur la perte, le deuil et la solitude.

Adapté du romancier britannique naturalisé américain Christopher Isherwood, le film nous emmène à Los Angeles, en 1962. Apprenant de la plus cruelle des façons le décès accidentel de Jim (Matthew Goode), son compagnon, George Falconer (Colin Firth), un professeur d’université à la cinquantaine distinguée, reste livré à son désarroi. Débute alors pour cet homme à l’avenir comme suspendu et en proie à un immense chaos intérieur, une journée en apesanteur, où il va s’interroger sur le sens de l’existence après la disparition de l’être cher.

Cela, au gré d’une errance parsemée de diverses rencontres -Kenny, un étudiant au regard attentionné (Nicholas Hoult), ou encore Charley (Julianne Moore), sa voisine qui elle-même dissimule à grand peine son dés-espoir, comme autant de balises tentant de percer le voile de ses incertitudes.

La grâce d’un funambule

Ce voyage au c£ur d’une douleur indicible, Tom Ford l’orchestre avec une finesse peu commune. Si, sans surprise sans doute, l’exercice est éminemment stylé, et reproduit, à l’ombre bienveillante de Hitchcock et Sirk, les contours d’une Amérique vintage, l’auteur réussit à accorder la tonalité de son film aux humeurs de son protagoniste, en un flirt délicat avec l’abîme. A sa lumineuse beauté, A Single Man ajoute une fulgurante et mélancolique intensité, transcendée par la prestation de Colin Firth, prix d’interprétation 100 fois justifié à la Mostra de Venise, qui évolue ici tel un funambule sur la crête de l’abandon et de la douleur.

La matière est dense; s’y greffe encore un plaidoyer pour la différence dans une Amérique figée dans ses peurs et ses conventions. « Les années 50 aux Etats-Unis ont duré jusqu’à l’assassinat de Kennedy », observe notamment Tom Ford dans un commentaire audio où il décortique, de la musique herrmanienne en diable aux décors en passant par ses implications intimes, un film bouclé en… 21 jours à peine. « J’avais imaginé tous les plans à l’écriture », prend le soin de préciser un réalisateur qui démontre ici qu’à défaut, peut-être, de vie après la mort, il y a en tout cas une vie après la mode. Pour signer un authentique chef-d’£uvre dont de multiples visions ne suffisent pas à épuiser toute la richesse.

Jean-François Pluijgers

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