Parmi les rendez-vous obligés du festival de Marrakech, il y a les masterclass que viennent y dispenser des réalisateurs de renom, et qui drainent d’ailleurs un public considérable, majoritairement composé d’étudiants. Après Jim Jarmusch et Emir Kusturica en 2009, c’était, cette année, au tour de Francis Ford Coppola et des frères Dardenne d’occuper la chaire du professeur, ces derniers pour une leçon de cinéma sans façons, mais riche en enseignements. Instantanés.

LA FICTION PLUTÔT QUE LE DOCUMENTAIRE. « Nous avons ressenti une espèce d’insatisfaction avec les documentaires. Sans doute parce qu’on n’arrivait pas, sous cette forme, à raconter toujours ce qu’on voulait. En documentaire, il est difficile de filmer, comme on l’a fait dans La Promesse, un garçon de 14 ans, agenouillé devant le corps d’un type en train de mourir, à qui son père dit: « On le laisse mourir, on le cache derrière les planches. » En documentaire, on ne peut pas filmer ça, et en fiction oui. Et c’est ce que nous voulions filmer, voir ce que ce meurtre allait provoquer chez ce garçon, et comment il allait pouvoir être fidèle à sa promesse. »

LE MOMENT-CHARNIÈRE. « On a vu la ville où on était allés à l’école, où on avait transgressé les premiers interdits, où on s’était amusés, une ville de rêves, un peu mythique, s’écrouler assez rapidement, avec la crise du milieu des années 70, parce que c’était une ville mono-industrielle. La crise industrielle des années 70 a été importante pour nous. Les rêves sont terminés, la réalité est là, et elle est méchante: c’est cela qu’on a filmé, et qu’on filme toujours. Les pères et les fils, là-dedans, ce sont des pères sans héritiers, si on peut dire, et des fils sans héritage. On retrouve des gens seuls, dans une société où, sans faire d’angélisme, la solidarité avait permis de créer des choses. Tout cela a basculé, et on est tous contre tous, et chacun pour soi. »

L’ABANDON. « Au début, le travail avec les comédiens nous faisait très peur. D’ailleurs, pour notre premier film de fiction, Falsch, nous avions mis les rails de travelling entre eux et nous (rires). On travaille différemment avec chacun d’entre eux. Les comédiens, et c’est complètement humain, lorsqu’on leur fait lire le scénario, se créent un personnage, ils le voient avec certains habits qui, souvent, les sécurisent. Quand un comédien nous dit: « Je me vois bien avec cette veste-là », qu’il ait raison ou non, nous refusons, par principe. « Plutôt ça, c’est mieux », et puis on verra. Il ne faut pas que ce soit une manière, pour le comédien, de se mettre une première barricade, ni pour nous de l’accepter, ni d’en mettre nous-mêmes. Dans un tournage, il faut qu’il y ait à un moment donné, de part et d’autre, comédiens et réalisateurs, un abandon, ce qui ne peut venir que dans la confiance, c’est-à-dire si on abandonne le plus possible tout ce qui vous construit dans la vie. »

RÉPÉTER. « On fait beaucoup de prises. Le fait de répéter les choses fait que des automatismes s’installent, et donnent au spectateur le sentiment qu’il n’y a pas, dans le chef du comédien, la volonté de dire ou montrer une chose, il n’y a pas cette espèce de volonté de puissance qui habite un peu nos sociétés d’aujourd’hui, et qui se reflète évidemment dans le jeu des acteurs. Il faut que les personnages restent des êtres fragiles, et pas des gens qui affirment tout le temps qu’ils sont là. Si nous sommes encore émus, après les avoir vus tant de fois, par les films de Rossellini, c’est parce que les comédiens, les personnages ne disent pas: « On est là. » Ils ne sont même pas sûrs d’être là eux-mêmes, et ça, c’est formidable. »

J.F. PL.

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