APRÈS THE ROAD, JOHN HILLCOAT S’AVENTURE DANS L’AMÉRIQUE DE LA PROHIBITION, SUR LES TRACES D’HOMMES SANS LOI ÉVOLUANT DANS UN MONDE MOUVANT, À LA CROISÉE DU WESTERN ET DU FILM DE GANGSTERS.

On avait quitté le réalisateur australien John Hillcoat sur The Road, entraînant Viggo Mortensen dans un suffocant cauchemar post-apocalyptique. On le retrouve aujourd’hui à l’horizon de l’Amérique de la prohibition, au tout début des années 30, cadre spatio-temporel de son nouveau film, Lawless ( lire la critique en page 30). Les hommes sans loi du titre français, ce sont les frères Bondurant, des « moonshiners », trafiquants d’alcool frelaté damant le pion à des autorités bien décidées à en finir, et guère plus sourcilleuses en matière de prescrits légaux au demeurant. Autres temps, autres m£urs? Voire. L’histoire semble d’ailleurs vouloir se jouer de la distance pour imposer un parallèle avec le présent. « Avec ce film, mon intention était aussi de dire quelque chose sur notre époque, commence Hillcoat, que l’on rencontre à Cannes, où Lawless a eu les honneurs de la compétition. D’où, par exemple, l’utilisation d’une chanson comme White Light, White Heat (composée par le Velvet Underground, et interprétée dans la bande-son par le chanteur de country bluegrass Ralph Stanley, ndlr) , qui fait référence aux amphétamines, et par analogie à l’alcool de contrebande. La guerre contre la drogue se poursuit, on assiste à un nouvel effondrement économique, le fossé entre les riches et les pauvres n’en finit plus de se creuser, et l’on observe les mêmes bouleversements environnementaux. Les similitudes sont nombreuses. »

Une ambiguïté bienvenue

Si résonance contemporaine il y a, elle n’écrase pas pour autant le propos de Lawless, qui reste avant tout un film de genre confrontant deux conceptions du monde, un peu à la manière, d’ailleurs, de The Proposition, précédent opus du réalisateur qu’avait également scénarisé son compère Nick Cave. Ce dernier a cette fois adapté le roman The Wettest County in the World de Matt Bondurant, écrit à mi-chemin de la chronique et de cette légende que privilégiait le John Ford de L’homme qui tua Liberty Valance. En résulte un script évoluant au confluent du western et du film de gangster, auquel l’auteur a par ailleurs imprimé un lyrisme n’appartenant qu’à lui, relayé encore par la musique qu’il a signée avec Warren Ellis. Investi jusqu’au bout des boots donc, au point d’assister aux répétitions des acteurs, et de superviser les changements apportés au scénario – « il est extrêmement méticuleux sur le choix des mots, et les protège admirablement », souligne le jeune acteur Dane DeHaan, pour qui l’expérience a tenu de la révélation.

S’agissant de la vibration du film, Hillcoat a fait visionner par ses comédiens les films tournés par James Cagney pour la Warner dans les années 30, façon The Public Enemy. A quoi il a ajouté le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn. « Ce qui s’est révélé intéressant, en regardant des films de gangsters, c’est qu’ils ont pour dénominateur commun leur façon de traiter la violence: après un parcours de montagnes russes, les gangsters sont abattus sous un déluge de balles et ne s’en relèvent pas. L’issue est différente dans notre histoire… », reprend Hillcoat. Ce n’est pas la déflorer de préciser que le réalisateur a veillé à y instiller une profonde ambiguïté, revendiquée haut et fort. « Ce que j’aime dans le cinéma européen, c’est que l’ambiguïté n’y soit pas considérée comme un gros mot. C’est différent en Amérique où, en la matière, on en est pratiquement à la tolérance zéro. A mes yeux, l’ambiguïté est bienvenue, parce qu’elle donne aux gens des possibilités d’interprétation. »

A cet égard, Lawless vaudra assurément au spectateur son lot de grain à moudre, ne serait-ce encore que par la sauvagerie qui embrase par endroits l’écran. Laquelle, toutefois, n’est pas qu’explosion gratuite au service d’une geste plus ou moins spectaculaire. « Ce que j’ai trouvé frustrant dans la plupart des films de gangsters, c’est leur manque de profondeur. La violence, dans Lawless , n’est autre que ce sur quoi débouche le drame, elle est la conséquence de la pression et des circonstances de la vie, qui ont le don de faire ressortir le pire, mais aussi le meilleur des gens. Peu importe que l’on en soit l’auteur ou la victime, il y a des conséquences, physiques et aussi psychologiques », souligne Hillcoat à ce propos. Et d’enchaîner, intarissable: « Comme d’autres nations, l’Amérique s’est fondée pour bonne part sur la violence. C’est quelque chose que chacun de nous a en lui. J’ai sciemment évité les ralentis et les procédés de ce genre dans les scènes de violence, et j’ai veillé à alterner distance et gros plans, afin que le spectateur se sente tiraillé, plutôt qu’en faire une expérience immersive, intensifiée par le ralenti. Mon intention était de traiter les actes de violence de façon très rapide, en une approche qui soit de l’ordre du fait, sans dérobade. » De bruit et de fureur, en somme.

Au-delà, Hillcoat a tenu à donner à son film une respiration singulière, laissant par endroits une douceur précaire s’y installer, en même temps que le regret de ce qui aurait pu être, et ne restera que de l’ordre du pressentiment. Au final, c’est bien un voile d’amertume qui semble envelopper toute chose dans ce monde sans loi, achevant d’inscrire ce film dans une perspective intemporelle…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS À CANNES

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