Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

PLUTÔT QU’UNE COMMÉMORATION DE 14-18, LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE CHARLEROI INITIE UNE RÉFLEXION BOULEVERSANTE SUR LES CONFLITS ET LEURS VICTIMES COLLATÉRALES -NOUS.

Putain de guerre

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE CHARLEROI, PLACE DU MANÈGE, À 6000 CHARLEROI. JUSQU’AU 01/03.

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Et dire que l’on a failli rater cette exposition qui, à la base, prenait fin au 31 décembre. Heureusement, Coraly Aliboni, la conservatrice, a eu la bonne idée de prolonger l’événement pour deux mois supplémentaires. Elle a également eu la pertinente initiative de faire appel au galeriste Jacques Cerami pour en assurer le commissariat. L’homme signe ici un travail à son image, sobre et d’une grande profondeur. Difficile de garder l’oeil sec tout au long d’un parcours rythmé par les roulements de tambour d’une installation du Belge Leo Copers, un squelette suspendu par les pieds dont le crâne heurte une grosse caisse à chaque fois qu’un visiteur en déclenche le mécanisme. Scandé par ce fond sonore martial, PUTAIN DE GUERRE s’offre à la faveur d’une mise en scène panoptique qui a su préserver une dimension humaine. Car ici, c’est l’homme qui est la mesure des choses. C’est bien lui -comprendre nous- qui est à chaque fois embarqué dans une histoire qui le dépasse forcément et dont la vérité tronquée ne lui est souvent révélée qu’après coup -« la première victime de la guerre est la vérité« , peut-on lire au détour des documents qui parsèment le lieu. Il est à noter que le message et la mise en scène de cette exposition ne trouveront pas d’écho chez un spectateur pressé et superficiel. Il faut compter deux bonnes heures, au bas mot, pour s’imprégner des oeuvres présentées. Ceci, même s’il est clair qu’une certaine économie de moyens est décelable. Loin d’être une tare, cet élément est à verser au crédit du tandem Aliboni et Cerami, qui tape droit dans le mille et compense les moyens réduits par une créativité pleine de sens.

Bombes humaines

La force de PUTAIN DE GUERRE est de convier différentes pratiques au chevet du propos: photojournalisme -un hommage à ceux qui risquent leur vie pour témoigner-, travail vidéo, arts plastiques, bande dessinée… C’est d’ailleurs à cette dernière (un album de Jacques Tardi) qu’a été emprunté le titre de l’exposition. Sur place, plusieurs exemplaires de ce récit qui débute en couleur et finit en noir et blanc se tiennent à la disposition du visiteur. Ce n’est pas la seule sphère d’intimité que Cerami ménage au long du parcours. Plus loin, il est également possible d’entrer dans Wounded, le bel ouvrage de Bryan Adams, le compositeur-interprète bien connu. Le coup de force est magistral: plutôt que faire venir les photos frontales des 40 soldats britanniques blessés en Irak et en Afghanistan, le curateur carolo a installé un dispositif, petit cabinet de lecture digne d’un moine copiste, permettant à tout un chacun de se plonger dans cette somme qui rappelle les « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale. Le parcours de l’exposition tout entier est une tentative de circonscrire la guerre tantôt en la regardant droit dans les yeux -les vétérans mutilés de Nina Berman, la petite Afghane en vert de Massoud Hossaini…-, tantôt en la contournant -les Bomb Children de Ronny Delrue, le remarquable documentaire L’Ame en sang d’Olivier Morel qui se penche sur les traumas des militaires américains revenus du front irakien, le cercueil traversé par un bras de Werner Reiterer… Sans oublier -autre temps fort du parcours- un ensemble de six toiles réalisées spécialement pour l’exposition par Michaël Matthys. Six toiles évoquant 14-18 et forgées avec la matière même de cette guerre des tranchées, à savoir la terre et le sang. Bouleversant, on vous dit…

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