SÉPARÉ DE SA MAISON DE DISQUES, JOSEPH D’ANVERS A SU RETOMBER SUR SES PATTES. AUTOPRODUIT, SON NOUVEL ALBUMLES MATINS BLANCS EN PROFITE MÊME POUR LARGUER LES AMARRES VERS DES CHANSONSPLUS POP, PRESQUE VARIÉTÉ. EXPLICATIONS AVANT LE CONCERT AU BSF.

Début juillet. Gros coup de chaleur sur Bruxelles. Attablé à la terrasse du Musée des instruments de musique, sous le cagnard, Joseph d’Anvers a gardé ses lunettes de soleil. « J’ai les yeux clairs. Et puis, récemment, je me suis fait « scalper » la cornée, lors d’un combat de krav maga (sport de combat d’origine juive, combinant techniques de lutte, de judo…, ndlr). Je suis resté aveugle de l’oeil gauche pendant une semaine. Aujourd’hui, ça va. Mais je dois quand même faire attention. » Depuis, Joseph d’Anvers a préféré quitter le ring. « Je n’étais pas mauvais pourtant, j’avais une bonne allonge. Mais bon, de toute façon, à 36 ans, cela devenait compliqué de continuer la compétition. Et aller à la salle juste pour m’entretenir, comme tous les bobos, cela ne m’intéresse pas (rires). Si j’y vais, c’est pour combattre. »

Des luttes et des coups à encaisser, Joseph d’Anvers n’en a pourtant pas manqué ces dernières années. En mars, il sortait Les Matins blancs, un quatrième album qui a bien failli ne jamais voir le jour. C’est la loi du music business actuel: vous avez beau afficher un début de discographie apprécié, être reconnu par la critique, avoir bossé avec le producteur des Beastie Boys (l’album Les Jours sauvages), et écrit aussi bien pour Bashung que Françoise Hardy, cela n’empêche pas les galères. Après trois albums, le label Atmosphériques lui rendra ainsi son contrat. Une rupture « de commun accord ».« J’avais mis six mois à obtenir un rendez-vous avec Marc Thonon (le patron d’Atmosphériques, ndlr). Et quand il a écouté mes premiers titres, il n’avait pas l’air plus impliqué que cela, pris aussi, j’imagine, par les problèmes de pérennité de la boîte (le label qui a révélé Louise Attaque, et a encore signé récemment Charlie Winston, fait aujourd’hui l’objet d’un redressement judiciaire, ndlr). »

Coups durs

En 2013, Joseph d’Anvers se retrouve donc sans maison de disques. Mais avec un paquet de chansons, dont des collaborations amorcées entre-temps avec Dominique A, Miossec ou encore Lescop… Il décide d’avancer malgré tout. Dans un premier temps, la machine est lancée grâce aux indemnités payées par Atmosphériques. Un appel au financement posté via la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank fera le reste. En 24 heures à peine, l’objectif de 5000 euros est atteint. « Un Français expatrié à Hong Kong voulait mettre le paquet. Ma manageuse lui a quand même expliqué que la musique n’était pas vraiment un investissement très porteur (rires).«  Le généreux donateur deviendra malgré tout coproducteur du disque. Au final, ce sont plus de 12 000 euros qui seront ainsi récoltés. « Un peu moins du tiers du coût global. »

Seul en mer, mais pouvant désormais compter sur un solide soutien à terre, Joseph d’Anvers fonce. A la fois grisé par le vent de liberté, mais aussi un poil paniqué. « S’est posée la question de savoir où aller. Cette nouvelle autonomie n’était-elle pas l’occasion de partir sur quelque chose de plus barré, hors-norme, ou en tout cas qui ne soit plus tout à fait dans mes codes habituels? » Le doute n’est jamais très loin, potentiellement paralysant. « L’intérêt d’une maison de disques est aussi de recevoir de temps en temps un retour sur ce que vous faites: ici, rien. » Même les amis sont tenus à distance. Pour cause: Joseph d’Anvers a décidé de faire le (grand) saut vers des morceaux plus « chanson », plus directement pop, voire plus très loin de la variété. « Mes potes sont dans le rock, voire le hardcore. Je voulais que le disque soit entièrement terminé avant de le leur faire écouter. Cela m’a donné aussi le temps de mieux l’assumer. »

A la base, la culture musicale de Joseph d’Anvers est en effet très éloignée du patrimoine chanson. « Je viens quand même de l’indie rock des années 90: des groupes comme Sebadoh, Pavement… » Celui qui a vu sa vie chamboulée par le Doolittle des Pixies, été remué par les énervés de At The Drive-In, et qui a débuté dans la musique avec Polagirl, groupe post-rock, ne renie rien de tout cela. « Foncièrement, j’ai toujours cet esprit-là. Mais je me suis rendu compte que pendant toutes ces années, j’avais réprimé une autre partie de moi, une sensibilité plus pop. Ma mère était fan de Daho, par exemple. Pour moi, c’était le comble du mauvais goût (rires). » Depuis, Joseph d’Anvers s’est ravisé, se penchant plus attentivement sur la discographie d’incontournables hexagonaux comme Daho, Souchon, Aubert…

S’il « chante » donc aujourd’hui davantage, ose des mélodies plus directes (Sally, Avant les adieux), c’est moins pour séduire le plus grand nombre que pour se libérer lui-même d’une certaine posture. Dans un mouvement de lâcher prise, un peu comme le suggère le titre de l’album, Les Matins blancs, renvoyant directement à ces fins de nuits en apesanteur, quand le soleil ne s’est pas encore levé, et que tout semble possible. « Ces dernières années, j’ai eu quelques coups durs. J’ai perdu pas mal de proches, parfois de manière violente. Je me suis rompu aussi le tendon d’Achille, ce qui m’a valu d’être immobilisé pendant trois mois: bloqué chez moi, je devenais dingue. Bref, le fait est que ce genre d’événements vous aident à relativiser pas mal les choses. A la fin, vous vous foutez du fait que des gens trouvent que vous faites de la musique plus « facile ». Personnellement, je n’en ai jamais autant chié sur un album. Et aujourd’hui, j’en revendique chaque seconde. »

?JOSEPH D’ANVERS, LES MATINS BLANCS, DISTR. LC MUSIC/AT(H)OME. EN CONCERT CE 20/08, AU BRUSSELS SUMMER FESTIVAL, SALLE DE LA MADELEINE.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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