PREMIER FILM DE FICTION DE MORGAN MATTHEWS, X + Y TRACE LE PORTRAIT SENSIBLE D’UN ADOLESCENT AUTISTE À LA RECHERCHE DE SA PLACE DANS LE MONDE. UN FILM EN FORME D’ÉQUATION À MULTIPLES INCONNUES…

On trouve à l’origine de X + Y, le premier long métrage de fiction de Morgan Matthews, une trilogie de documentaires que le réalisateur britannique consacrait, au coeur des années 2000, à des compétitions étonnantes. Parmi ceux-là, Beautiful Young Minds (2007), qui suivait des élèves se préparant à participer aux Olympiades internationales de mathématiques. « J’ai été fasciné par le monde que j’ai découvert, se rappelle-t-il dans un foyer de Flagey, son film faisant, en juin dernier, la clôture du festival de Bruxelles après avoir été présenté à Toronto et Londres notamment. Les personnages étaient magnifiques, leur parcours avait une grande densité narrative, et leur histoire brassait des choses profondes. » Si bien qu’au moment de tenter l’aventure de la fiction –« Je voulais relever de nouveaux défis », explique un cinéaste au CV de documentariste bien fourni-, le thème s’impose, dans toute sa force et son évidence. « Il y avait à la fois les fondations et les ingrédients d’une fiction. L’idée n’était pas de faire un remake du documentaire, mais de m’en inspirer de façon créative. Il me semblait opportun, pour ma première fiction, de m’appuyer sur un univers que je connaissais et comprenais bien, moi qui venais de ce monde réel, plutôt que d’opter pour un sujet sur base du scénario d’un tiers. »

Baptisé X + Y en langage mathématique, Le Monde de Nathan dans sa traduction française, le film retrace l’itinéraire de Nathan, gamin autiste vivant enfermé dans un monde peuplé de formules et autres équations savantes. Enigme pour son entourage, le gamin va, à l’instigation d’un prof éclairé, rejoindre l’équipe d’Angleterre concourant aux Olympiades mathématiques, manière aussi de le faire sortir de sa bulle. Soit un contexte voisin de celui de Beautiful Young Minds, dont Nathan évoque de fort près l’un des personnages, avec toutefois ce que la fiction autorise de licence créative -et notamment une histoire familiale chargée, concession objective au sentimentalisme. Pour autant, le film séduit par sa justesse, et Matthews, bien aidé par de formidables comédiens -le jeune Asa Butterfield, bluffant, mais aussi Sally Hawkins et Eddie Marsan, tous deux passés à l’école de Mike Leigh-, sait, à l’évidence, comment ne pas trop en faire. Et d’expliquer combien ce souci de réalisme l’anime depuis l’adolescence lorsque, se cherchant lui-même, il se mit à photographier la vie alternative et les « tribus » de Bristol, sa terre d’origine, capturant l’effervescence et l’éclectisme de la ville dont sont issus les Massive Attack, Tricky et autre Banksy, « tous ces gens qui nous ont convaincus que l’on pouvait, avec un background comme le nôtre, faire quelque chose d’intéressant. »

Modeler le monde de demain

Ainsi, Le Monde de Nathan se révèle-t-il récit d’apprentissage d’autant plus sensible qu’inscrit dans un réel tangent que la caméra appréhende avec doigté. « Je ne le vois pas du tout comme un film sur les maths ou l’autisme, mais comme une célébration de la différence, observe Morgan Matthews. Quand j’ai rencontré ces jeunes gens, j’ai ressenti avec force qu’ils étaient différents, mais d’une façon positive. Ils ont pu rencontrer des difficultés, ou être ostracisés dans le cadre scolaire classique, mais ce sont des individus extraordinaires. Du reste, qui n’a jamais éprouvé, à l’un ou l’autre moment la sensation de ne pas être adapté au monde? » S’agissant de Nathan, les mathématiques lui offrent un refuge rationnel dans un environnement incertain, et l’une des réussites du film est assurément d’avoir su traduire son univers conceptuel en langage cinématographique. « La question s’était déjà posée à l’époque du documentaire. Ce qui se passe dans la tête des enfants participant à ces compétitions est chargé d’enjeux dramatiques difficiles à traduire en images. Pour y arriver, nous nous sommes appuyés sur la synesthésie dont souffre Nathan, qui voit des motifs mathématiques autour de lui, un monde d’une certaine beauté auquel les autres n’ont pas accès, et que nous avons partiellement défloré à travers son regard. » A quoi s’est ajoutée l’utilisation heureuse de la géométrie de l’environnement dans lequel évoluent les protagonistes –« j’ai le sentiment que ces jeunes gens sont occupés à modeler le monde de demain, et cela a aiguisé ma conscience de l’espace », opine Morgan Matthews. Une manière aussi d’ouvrir la perspective, pour un film qui, non content d’établir une connexion limpide entre les maths et les arts, pose les premières en métaphore de la vie, cette équation à multiples inconnues…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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