Qui était Carlos Ruiz Zafon, l’auteur du best-seller mondial L’Ombre du vent?

Carlos Ruiz Zafon fêtant son succès, au Liceu, à Barcelone, en 2008. © REUTERS/Gustau Nacarino
Delphine Peras Journaliste

L’écrivain espagnol atypique est mort à 55 ans d’un cancer. Nous le rencontrions il y a quelques années, à l’occasion de la sortie de son roman Le Jeu de l’ange. Revoici notre interview « Zafon de A à Z », en guise d’hommage.

Article initialement paru dans Le Vif/L’Express du 18 septembre 2009.

Avec sa silhouette massive et sa tenue de yacht-man – polo impeccable, chaussures bateau – il a plus l’air d’un touriste américain que d’un Marc Levy ibérique… Pourtant, Carlos Ruiz Zafon, 45 ans, est bien l’auteur espagnol vivant le plus lu au monde, depuis la parution en 2001 de son best-seller L’Ombre du vent, paru en 2001, une saga baroque à l’époque du franquisme. « J’en ai vendu environ 14 millions d’exemplaires à ce jour, dans une cinquantaine de pays », confie l’écrivain rencontré à l’occasion de la sortie en français de son dernier roman, Le Jeu de l’ange.

Pour ce deuxième volet de sa « tétralogie catalane », qui se passe toujours à Barcelone, mais dans les années 1920, la « zafonmania » a repris de plus belle: en Espagne, où le livre est paru en 2008, les ventes frôlent les 2 millions d’exemplaires. Pourtant, le style est souvent lourd. Et la connotation très fantastique de cette histoire, dont le narrateur, écrivain, accepte un pacte faustien qu’il va payer très cher, n’arrange rien.

Son nouvel éditeur français, Robert Laffont, y croit tout de même, après avoir déboursé au moins 1 million d’euros pour ravir l’Espagnol à Grasset. L’intéressé assume: « C’est le travail des agents littéraires de défendre les intérêts d’un écrivain. Je vois pas mal d’hypocrisie chez ceux qui ne jurent que par l’amour de l’art, comme si l’argent était quelque chose de sale. »

Dire que le premier tirage de L’Ombre du vent n’était que de 4.000 exemplaires… « Mon éditeur affirmait que ce n’était pas un livre assez commercial », rappelle Zafon, balayant les critiques de l’intelligentsia espagnole, prompte à le regarder de haut. « C’est un microcosme plein de haine, d’envie et de rivalités, ce n’est pas mon monde », insiste cet homme marié, sans enfants, qui vit désormais entre sa maison de Beverly Hills, à Los Angeles, où il a été scénariste pendant sept ans, et Barcelone, sa ville natale.

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Fils d’un agent d’assurances et d’une mère au foyer, Carlos Ruiz Zafon a passé onze ans chez les jésuites. « Avant même d’apprendre à lire et à écrire, je me racontais des histoires. » Dès l’âge de 9 ans, il commence à les coucher sur le papier. « Après, j’ai créé une petite maison d’édition avec un copain dont le père tenait une papeterie et possédait cet objet extraordinaire pour nous: une photocopieuse Xerox. » Un camarade dessine les jaquettes, un autre s’occupe du « marketing », c’est une affaire qui marche. « Même les profs nous achetaient notre fanzine! » Jusqu’à ce que le directeur de l’école y jette un oeil et découvre, horrifié, des histoires à glacer le sang, peuplées d’assassins et de fantômes en tout genre. Censure immédiate.

Le jeune Carlos ne s’en laisse pas conter et rédige, à 14 ans, un roman victorien de 600 pages. « Il faut en passer par là, écrire des centaines de pages qui ne seront jamais lues par personne », martèle cet admirateur de Charles Dickens et d’Alexandre Dumas, mais aussi de John Dos Passos et de Raymond Chandler. Pour vivre de sa plume, il se lance, à 20 ans, dans la publicité, monte vite en grade, devient un créatif convoité. « J’ai gagné tellement d’argent que mon père me soupçonnait de frayer avec les narcotrafiquants! » Mais au fond, la pub, ce n’est pas son truc. Le 1er janvier 1992, il se met à écrire pour la jeunesse. « Là encore, j’ai réalisé que ce n’était pas ma voie. » C’est avec son quatrième livre, Marina, « un roman hybride, mon préféré », que l’écrivain s’oriente vers ce qui deviendra sa marque de fabrique: cette veine gothique et mystérieuse qui lui a si bien réussi. Et qu’il entretient en collectionnant les dragons sous toutes les formes, des sculptures aux peluches, en passant par la petite broche qu’il arbore sur son beau polo. Zafon aurait-il vraiment le feu sacré?…

Le Jeu de l’ange, par Carlos Ruiz Zafon, trad. de l’espagnol par François Maspero. Robert Laffont, 537 p.

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