Pas de Nobel de littérature cette année, une première depuis 1949

Anders Olsson, secrétaire permanent de l'Académie suédoise © REUTERS/TT News Agency/Janerik Henriksson
FocusVif.be Rédaction en ligne

Graal des romanciers, poètes et dramaturges depuis plus d’un siècle, le prix Nobel de littérature ne sera pas décerné cette année, victime de la déflagration #MeToo qui a fait imploser l’Académie suédoise.

Le tout-Stockholm littéraire bruissait de la rumeur, comme la chronique d’un désastre annoncé: le nom du lauréat du Nobel 2018 de littérature sera arrêté et dévoilé en même temps que le lauréat 2019, a fait savoir vendredi l’Académie suédoise dans un communiqué, une première depuis près de soixante-dix ans.

Protagonistes d’un mauvais roman, les académiciens doivent engager « un travail de réforme long et énergique », a justifié Anders Olsson, son secrétaire perpétuel par intérim.

« Nous jugeons indispensable de nous donner du temps pour restaurer la confiance avant la désignation du prochain lauréat », a-t-il ajouté. « Et ce par respect tant pour les lauréats passés que pour les lauréats à venir ».

Créée en 1786 sur le modèle de l’Académie française, l’académie est prise dans la tourmente depuis les révélations du mouvement #MeToo qui l’ont éclaboussée fin 2017 et s’est depuis déchirée sur la façon de traiter l’affaire.

Ces dernières semaines, six des 18 sages, dont la secrétaire perpétuelle en exercice Sara Danius -qualifiée de « pire » secrétaire depuis 1786 par l’un des membres-, ont annoncé abandonner leur fauteuil. Deux membres ne participaient déjà plus depuis longtemps à ses travaux, réduisant à dix le nombre d’académiciens actifs.

Or selon les statuts de l’académie, au moins 12 membres actifs sur les 18 fauteuils sont nécessaires pour choisir un nouveau membre.

Un Français au coeur du scandale

Les raisons de la colère? Les témoignages de 18 femmes publiés dans le quotidien de référence Dagens Nyheter en novembre, en pleine campagne #MeToo, qui affirment avoir subi des violences ou des faits de harcèlement sexuel d’un Français, Jean-Claude Arnault, marié à l’académicienne Katarina Frostenson, en retrait depuis.

L’académie a immédiatement rompu tout lien avec M. Arnault et son centre culturel Forum couru de l’intelligentsia stockholmoise, qui a lui aussi dû mettre la clé sous la porte à la suite du scandale.

Le parquet criminel de Stockholm a annoncé mi-mars qu’une partie de l’enquête préliminaire ouverte contre lui avait été classée sans suite pour cause de prescription ou faute de preuves. Il s’agit de viols et d’autres agressions présumés commis en 2013 et 2015. Les faits non classés n’ont pas été révélés.

Par la voix de son avocat, interrogé par l’AFP, Jean-Claude Arnault se dit innocent.

L’institution est également au coeur d’un conflit d’intérêt. Une enquête financière a été ouverte, liée au versement de généreux subsides au centre Forum, dont M. Arnault et son épouse étaient co-propriétaires.

Histoire tourmentée

Pendant la crise #metoo, Kerstin Ekman, académicienne en retrait depuis plusieurs années, avait comparé à une « secte » l’académie qui, en 2016, sombrait sous un déluge de critiques après l’attribution du Nobel au musicien américain Bob Dylan.

Le sacre Dylan avait ravi ses fans, mais avait mécontenté les gardiens du temple Nobel. D’autant qu’il s’était fait représenter pour les cérémonies de remise du prix le 10 décembre à Stockholm.

Avant l’édition 2018, l’attribution de la plus haute distinction littéraire au monde avait été reportée cinq fois depuis sa création en 1901.

En 1949 -dernier report en date- l’Académie avait décidé de différer l’annonce du lauréat invoquant pour cette année-là qu’« aucune des candidatures ne répondait aux critères énoncés dans le testament d’Alfred Nobel ». Un an plus tard, l’écrivain américain William Faulkner avait reçu les honneurs pour l’année 1949.

Le roi, parrain de l’institution, a par ailleurs annoncé mercredi une modification des statuts: ses membres, initialement élus à vie, pourront démissionner et ainsi être remplacés de leur vivant. En revanche, la nouvelle mesure n’a pas d’effet rétroactif.

« Je respecte la décision de l’Académie suédoise », a-t-il réagi vendredi, cité par l’agence TT. « Il est maintenant important de travailler afin de recréer les conditions permettant aux académiciens d’accomplir les tâches importantes et de maintenir la confiance », a-t-il ajouté.

La dernière fois que la prestigieuse institution a été secouée par une vague de démissions, c’était en 1989: trois membres avaient décidé de laisser leur siège vide, furieux qu’elle ne soutienne pas publiquement le Britannique Salman Rushdie, condamné à mort par l’imam Khomeiny pour ses Versets sataniques. Elle avait fini par dénoncer la fatwa 27 ans plus tard.

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