Olivier Norek: « Avant de ne plus pouvoir respirer, il y aura la montée des eaux et l’arrivée de plus de 200 millions de réfugiés climatiques »

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Philippe Manche Journaliste

Avec Impact, le capitaine de police en disponibilité Olivier Norek s’attaque à la transition écologique et se transforme en lanceur d’alerte. Son nouveau thriller, le sixième, est engagé, efficace et tendu. Entretien.

A peine installé dans le lobby d’un hôtel en face de la gare du Nord, afin de pallier la fermeture des bars dans une capitale qui fait grise mine en cette matinée d’octobre, Olivier Norek (45 ans au compteur) commande des cafés. L’auteur du récent Surface (Michel Lafon, 2019) a beau écouler des thrillers par camions et récolter, depuis 2013 et la sortie de son premier roman Code 93, une volée de prix (prix du Polar européen, prix Sang d’encre des lecteurs, prix Babelio, prix Relay des lecteurs/voyageurs…), il sait qu’il joue gros avec Impact (1). Le thème de la transition écologique est « le » sujet casse-gueule par excellence. Sauf qu’avec un travail de recherche phénoménal en amont (les sources et remerciements prennent une trentaine de pages), Norek a des biscuits, des arguments pour son scénario de probabilité face aux dangers qui menacent la planète. Son personnage principal, Virgil Solal, est un soldat vert qui kidnappe le PDG du groupe français Total pour sensibiliser l’opinion aux dangers qui rongent la planète. S’ensuit une insurrection virale où, à l’instar du masque de Dali dans Casa de Papel ou du Joker dans le film du même nom, les adeptes se baladent avec des masques d’un panda balafré…

J’ai confiance en la vénalité des entreprises qui vont un jour comprendre que la transition écologique est génératrice d’emplois, donc d’argent.

Après la jungle de Calais dans Entre deux mondes, la transition écologique est au centre d’Impact. Une évolution naturelle au regard de votre bibliographie qui devient de plus en plus sociétale?

Le polar, si on remonte à Jean-Patrick Manchette, a toujours parlé de notre société. Je ne dis pas que c’est nouveau et je ne prétends rien inventer mais je constate que, de nos jours, une enquête, ça ne suffit plus. Jacques Saussey, par exemple, écrit l’histoire d’une gamine transgenre avec Enfermé.e. Claire Favan publie Inexorable, le récit d’un enfant souffrant de TDAH et Jean-Claude Bizien, avec Et puis mourir, se focalise sur une série de meurtres pendant les manifs des gilets jaunes.

Articles de presse, extraits d’un vote à l’Assemblée nationale, d’un rapport de l’Agence internationale de l’Energie ou du site officiel de Total, entre autres, nourrissent Impact. Comment avez-vous fait le tri à l’heure de la surinformation?

Notre surinformation, c’est de la désinformation. Je suis devenu mon propre journaliste parce que je voulais entendre parler de transition écologique de la part de personnes dont c’est le métier et rencontrer un climatologue, un économiste, un sociologue, un philosophe, un historien des civilisations, un climatosceptique… ça m’a pris pas mal de temps de trouver les bonnes personnes, objectives, et les consultants. L’important, c’est que finalement, et avec toutes ces informations auxquelles vous faites allusion, vous pouvez vous forger votre propre opinion.

Qu’est-ce qui vous a mis le plus en colère?

L’hypocrisie dans la foulée des accords de Paris. Le lendemain de la COP 21 (NDLR: en décembre 2015), les banques ont explosé leurs investissements en énergie fossile et ont baissé leurs investissements en énergie verte. Voir le groupe Total développer un mégaprojet d’exploitation de gaz naturel au Mozambique (NDLR: le 15 juin dernier, l’ONG Les Amis de la Terre a accusé la France « d’amorcer une bombe climatique ») me rend complètement dingue.

Impact renvoie aussi au lecteur le triste constat que notre confort est créé par des gens en souffrance…

Il se construit sur la misère d’autres. Le pétrole, les énergies fossiles, il faut voir d’où ça vient. Le Delta du Niger est un des premiers endroits sur la planète inapte à la vie. Il n’y a plus rien. C’est complètement cramé. La vie n’est plus la bienvenue. Le vrai problème, c’est que les effets de la consommation, on les perçoit moins dans l’Aveyron qu’en Afrique. On consomme de nouveaux portables sans visualiser les gamins qui descendent dans les mines chercher des métaux rares pour nos téléphones. Ici, la vie est belle. Et on continue à s’adapter au fur et à mesure. Pour nos enfants. Qui verront un jour au Groenland des plaines à perte de vue.

Le constat est somme toute pessimiste, même s’il y a malgré tout des raisons d’espérer. Quelles seraient-elles?

Avant de ne plus pouvoir respirer, il y aura la montée des eaux et l’arrivée de plus de 200 millions de réfugiés climatiques. Ce sera une guerre dans laquelle on va laisser notre âme. Pas une guerre de territoires ni une guerre de religion: la guerre des miséreux va débarquer chez celles et ceux qui ont tout. On va créer des murs, des frontières, des milices et on ne se donnera pas la main. Ce n’est pas quelque chose qui nous détruit radicalement. Ça nous grignote, comme un cancer, comme un virus et le virus, c’est nous. Il y a toutefois, et heureusement, de nombreuses raisons d’espérer. En finançant, par exemple, quelqu’un comme Bertrand Piccard, l’aéronaute suisse qui a copiloté l’avion solaire Solar Impulse et qui travaille sur un projet de captation du CO2 dans les mines de sel. Ou en soutenant Benjamin Laredo, un étudiant ingénieur français, qui travaille sur le projet « Grande Abondance » en France, à savoir l’inondation d’une vallée (NDLR: L’Abondance, en Haute-Savoie) et la création d’un barrage avec un lac artificiel qui permettrait d’avoir dans les prochaines années 100% d’énergie renouvelable. En fait, j’ai confiance en la vénalité des entreprises qui vont un jour comprendre que cette transition écologique est génératrice d’emplois, donc d’argent.

Que répondriez-vous à ceux qui vous demanderaient comment le capitaine de police que vous êtes toujours promeut la désobéissance civile jusqu’à la révolte physique?

Qu’on ne demande pas à Maxime Chattam, Karine Giébel ou Franck Thilliez s’ils sont des assassins retors parce qu’ils créent des tueurs en série complètement pervers.

Comment vous êtes-vous retrouvé à 20 ans en mission humanitaire en Yougoslavie avant de devenir policier en Seine-Saint-Denis et aujourd’hui écrivain?

L’humanitaire, c’est lié à mon histoire de famille. Quand je suis parti faire ma première mission, mon père (NDLR: Claude Norek, haut fonctionnaire, directeur de Radio France de 1999 à 2004) m’a offert une petite statuette en bois d’un homme avec un sac sur le dos et il m’a dit: « C’est comme ça que ton grand-père (NDLR: naturalisé Français en 1935) a quitté la Pologne avec son baluchon et quelques mots de français. » J’ai grandi à Versailles, dans un milieu privilégié. J’ai reçu autant d’amour de mes parents que de pognon et à 17 ans, je tombe en dépression parce que je me demande comment justifier ma place sur cette planète avec cet héritage familial. Lors de mes missions humanitaires, je me rends compte que je ne suis jamais aussi heureux qu’en étant utile aux autres et je passe le concours de police. Ensuite, j’ai la possibilité d’écrire des livres donc d’avoir une tribune. Avec Code 93, c’est le trafic des chiffres de la criminalité en Seine-Saint-Denis. Territoires, la collusion entre les délinquants et les politiques. Surtension, l’état catastrophique des prisons en France et de la justice. Entre deux mondes, la gestion du mouvement migratoire en France. Surface est sans doute mon roman le plus personnel et introspectif. Avec Impact, j’en reviens au besoin d’être utile. Mes bouquins sont ludiques. Je veux que les gens prennent du plaisir à les lire, ça reste du divertissement mais je souhaite aussi proposer matière à réflexion une fois le roman refermé.

(1) Impact, par Olivier Norek, Michel Lafon, 348 p.
(1) Impact, par Olivier Norek, Michel Lafon, 348 p.

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