Les BD se la jouent BO

© ÉDITIONS DELCOURT
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Bande dessinée et musique ont toujours fait bon ménage. L’essor des romans graphiques et des playlists gratuites ont encore enfoncé le clou. Ainsi, Les Amants d’Hérouville est un formidable récit à lire avec un casque sur les oreilles.

Ce sont deux cultures populaires qui étaient faites, depuis toujours, pour s’entendre. Il n’y a qu’à lire Les Amants d’Hérouville pour s’en rendre compte. Parmi cent autres merveilles qu’on peut trouver dans ce « biopic BD » consacré au musicien Michel Magne, on peut y voir une reproduction d’un livret que l’immense Sempé avait concocté pour accompagner la sortie d’un de ses disques, en 1959. Soixante ans plus tard, les relations fraternelles n’ont fait que s’accentuer entre strip et zik, au point que l’un ne s’envisage presque plus sans l’autre. Beaucoup d’auteurs de BD ont ainsi pris l’habitude de citer dans leurs remerciements les groupes et chanteurs écoutés pendant la création de leur album -un « métier d’homme penché » comme disait Morris, solitaire et parfois mécanique, qui se prête beaucoup plus que d’autres à de longues plages d’écoute musicale.

Les BD se la jouent BO

Désormais, les playlists directement liées aux contenus d’albums de BD n’attendent que vous sur Spotify pour accompagner et compléter vos lectures. Ces propositions de « lecture avec casque » se multiplient ces dernières semaines. Il vous viendra ainsi une furieuse envie de réécouter du Leonard Cohen à la lecture de la formidable bio homonyme que vient de lui consacrer le Québécois Philippe Girard (Casterman), du Velvet en ouvrant Une histoire du Velvet Underground réalisé par Prosperi Buri (Dargaud) ou les Beatles pendant et après avoir lu le Nowhere Girl de Magali Le Huche (lire la critique en page 45). Et on attend de pied ferme la playlist qu’Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog seraient avisés de mettre en ligne au moment de la sortie de leur très attendu Underground, annoncé début avril chez Glénat et consacré aux « rockeurs maudits et grandes prêtresses du son« .

D’autres ont déjà poussé le principe plus loin encore: d’abord de manière presque logique, avec Le Petit Livre de la Black Music d’Hervé Bourhis (et Bruno), qui la décortiquait chronologiquement, et qui se dédouble désormais de playlists Spotify organisées elles aussi par année. Plus étonnant, l’auteur Christian Durieux a, lui, directement collaboré avec le groupe Cocoon et son leader Mark Daumail pour écrire le début de la bande-son de son album Pacific Palace (Dupuis) -deux clips, évidemment mis en images par Christian Durieux, sont visibles sur YouTube, avant, peut-être, tout un album qui serait réellement « la première bande originale d’une bande dessinée« !

Les BD se la jouent BO

Plein les yeux et les oreilles

Mais la palme de la meilleure évocation musicale de ces dernières semaines, et qui impose vraiment de se ruer sur ses playlists ou sa chaîne hi-fi pendant la lecture et relecture, c’est bien ces Amants d’Hérouville, petit chef-d’oeuvre de 264 pages qu’on n’avait pas vu venir, consacré à un musicien certes de génie mais qu’on ne connaissait pour l’essentiel que de nom: Michel Magne. On avait évidemment tort. Né en 1930, mort en 1984, Michel Magne a bâti des pans entiers des décors de notre pop culture. D’abord en tant que compositeur de musique de films -et pas des moindres, de Fantomas aux Tontons flingueurs en passant par la série des Angélique, des Verneuil, des Lautner et presque tous les films de Jean Yanne- ensuite par les studios d’enregistrement qu’il ouvre à la fin des années 60 au château d’Hérouville, dans le Val-d’Oise, et dans lesquels un hallucinant gratin de stars va défiler pendant dix ans, jouer et enregistrer parfois leurs meilleurs albums, de T-Rex à Elton John, en passant par les Pink Floyd, David Bowie, Eddy Mitchell, Iggy Pop, Hallyday ou les Greateful Dead (ces derniers pour un concert d’anthologie, tant en vrai que dans la BD).

Si Les Amants d’Herouville se concentre, comme son nom l’indique, sur la période, au final tragique, de la relation entre Michel Magne et sa compagne Marie-Claude, les auteurs ne font pas pour autant l’impasse sur le reste de la carrière et de la vie, tout aussi hallucinantes, de cet artiste hors norme. Au contraire, on avait rarement lu une BD biographique et musicale aussi complète, fouillée et qui ne nous oblige même pas à prendre des notes: le scénariste Yann Le Quellec, également réalisateur et producteur, liste méthodiquement, en fin d’ouvrage, toutes les discographies concernées, de celle de Michel Magne aux artistes et albums passés par Hérouville. Il propose également le QR Code qui permet d’aller directement sur la playlist Les Amants d’Herouville sur Spotify. Le complément plus que parfait de ce formidable roman graphique, qui s’appuie certes sur un personnage « bigger than life », mais qui déploie tout un panel de narration très original, tels ces photographies d’époque qui soudain s’invitent dans les cases et les dessins de Romain Ronzeau, piqûres de réalisme dans un récit passionnant et jubilatoire d’un bout à l’autre. Un plaisir pour les yeux, et les oreilles.

Les Amants d’Hérouville – Une histoire vraie, de Yann Le Quellec et Romain Ronzeau, éditions Delcourt, 256 pages. ****(*)

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