Le remède Spilliaert

Soirée d'octobre, Léon Spilliaert, 1912. © DR
Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Eva Bester, icône radiophonique, délaisse un temps son émission Remède à la mélancolie pour consacrer un scintillant petit essai à Léon Spilliaert. Rencontre.

Lorsque Eva Bester entre d’un pas vif dans le café parisien où elle a fixé rendez-vous, une sorte de brise légère se lève. On s’attendait à rencontrer une jeune femme grave, mais c’est une bulle de champagne qui fait son apparition, souriante, le regard franc, la frange mutine. La présentatrice de l’émission-culte du dimanche matin, sur France Inter, Remède à la mélancolie, qui ausculte la manière dont ses invités se débrouillent avec la laideur de l’époque, ne semble pas en avoir besoin elle-même. Pourtant, dans le petit essai inattendu et précieux qu’elle consacre à la peinture de Léon Spilliaert, un désaccord profond mais languide avec le présent s’exprime au détour de chaque phrase – un spleen de ville côtière hors-saison.

Ce que j’aime, chez Spilliaert, c’est précisément son côté mortuaire.

On le lui dit. Elle répond: « Ce que j’aime, chez Spilliaert, c’est précisément son côté mortuaire. Quand on regarde ses oeuvres, on ne peut qu’être frappé par l’angoisse métaphysique qu’à la fois ils expriment et dépassent. Lorsque j’ai découvert Spilliaert, j’ai eu le sentiment de découvrir un cousin de tempérament. » Ce cousinage lui a paru une telle évidence qu’elle a voulu, il y a quelques années, partir sur ses traces. Elle est allée traquer les restes des paysages qui avaient reçus le regard de Spilliaert, les collections où ses oeuvres demeurent conservées. « J’adore la Belgique et j’adore Ostende. Les restes de villas Belle Epoque jouxtant des barres d’immeuble hideuses, sous un ciel bas mais infini: encore aujourd’hui, on peut comprendre le caractère crépusculaire, presque fantastique, de son oeuvre rien qu’en se promenant sous les galeries du Thermae Palace. »

Le remède Spilliaert
© belgaimage

Cioran illustré

En cherchant cette communion avec le peintre, Eva Bester a toutefois compris combien il fallait se méfier des clichés qui tournaient autour de son oeuvre. « Par exemple, je crois qu’il est une erreur de classer Spilliaert parmi les symbolistes. Il a brièvement été inspiré par le mouvement symboliste à ses débuts, mais reste fasciné par le banal et le quotidien dont il révèle des aspects quasi fantastiques. Il était aussi un humoriste prodigieux, une sorte de Cioran illustré. Quand on regarde ses tableaux de manière attentive, on ne peut qu’être frappé du côté facétieux, presque bouffon, de certaines scènes ou de certaines figures. Spilliaert lui-même le disait. Lorsqu’on l’interrogeait sur ce qu’il trouvait le plus important de tout, il répondait: ‘la blague’. »

Est-ce là la source de l’attraction que Eva Bester nourrit pour lui? « Sans doute. Il n’y a rien que je trouve plus sinistre que les individus qui ne pensent qu’au premier degré. Spilliaert, lui, peignait à la fois le caractère insensé du monde et le transcendait par le regard qu’il portait sur lui. C’est pourquoi je le range avec mes autres héros, qui n’appartiennent pas par hasard à la même époque: Baudelaire, Poe, Huysmans, Wilde… Dans cette danse du désespoir et du rire se niche la possibilité de la beauté dans un monde qui fait tout pour l’anéantir. »

Et à ceux qui trouveraient le diagnostic dur, ou qui lui reprocheraient d’attendre trop de l’art et pas assez du monde, la jeune femme pourrait rétorquer: « L’art nous protège. Ou, en tout cas, il me protège. En regardant les tableaux de Spilliaert, je peux me quitter pendant un instant et croire que je vais pouvoir me réconcilier avec mes démons. » Lesquels? Quand on le lui demande, Eva Bester éclate d’un rire malicieux.

Léon Spilliaert, par Eva Bester, Autrement, 112 p.
Léon Spilliaert, par Eva Bester, Autrement, 112 p.

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