Le Petit Prince, retour sur une success story

Depuis 1993, les aquarelles signées de l'auteur et illustrant son livre ont été reproduites sur des milliers de produits dérivés. © GETTY IMAGES
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

En accueillant une adaptation du Petit Prince pour son spectacle estival, Villers-la-Ville mise sur une valeur sûre. De 1943 à aujourd’hui, le conte de Saint-Exupéry a connu un succès planétaire, en déclenchant quelques querelles. Retour sur la saga.

« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton! » Ce sont là, vous les aurez reconnus, les premiers mots – mêlant la prière et l’ordre, le tutoiement et le vouvoiement – que le Petit Prince adresse au narrateur du livre, un aviateur tombé en panne dans le désert du Sahara et double de papier de l’auteur, Antoine de Saint-Exupéry. Peu de répliques tirées d’un conte pour enfants sont devenues aussi célèbres. Listé comme le deuxième ouvrage le plus traduit au monde, derrière la Bible, adapté sur tous les supports possibles, du disque vinyle à la série d’animation japonaise en passant par la bande dessinée, l’opéra et le cinéma, Le Petit Prince s’apprête à ravir, dans la version mise en scène par Alexis Goslain, petits et grands cet été au milieu des ruines de Villers-la-Ville (1). De sa naissance à aujourd’hui, le petit souverain aux cheveux d’or a connu bien des mésaventures.

Listé comme le deuxième ouvrage le plus traduit au monde, derrière la Bible, adapté sur tous les supports possibles…

1943-1946 L’étoffe des héros

LePetit Prince voit le jour en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale. Antoine de Saint-Exupéry, né à Lyon en 1900, vit alors à New York et c’est là que le livre, illustré d’aquarelles de son auteur, est d’abord publié. L’écrivain, qui a déjà signé Courrier sud (1929), Vol de nuit (1931) et Terre des hommes (1939), a quitté la France quand le maréchal Pétain a demandé l’armistice aux Allemands et il entend bien défendre la cause de la Résistance aux Etats-Unis. Saint-Ex, pilote depuis son service militaire en 1922, s’engage au printemps 1944 dans une unité de reconnaissance photographique pour préparer le débarquement de Provence (opération Anvil Dragoon), mais il disparaît en mer avant le début des opérations, lors d’une mission, le 31 juillet 1944 (son avion ne sera retrouvé qu’en 2003). Saint-Exupéry est déclaré « mort pour la France ». Les éditions Gallimard publient Le Petit Prince en français en 1946, à titre posthume.

Saint-Ex décédé sans héritier, ses droits d'auteur ont au départ été partagés entre les descendants de sa soeur et son épouse, Consuelo.
Saint-Ex décédé sans héritier, ses droits d’auteur ont au départ été partagés entre les descendants de sa soeur et son épouse, Consuelo.© GETTY IMAGES

1946-1993 Les héritiers

Fable remplie de personnages mémorables, d’allégories douces-amères, d’illustrations porteuses d’un univers singulier et de déclarations à fendre le coeur (« Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde », parmi d’autres), Le Petit Prince rencontre un succès international, se vendant par dizaines de millions d’exemplaires. Mais Saint-Exupéry n’est plus là pour en récolter les lauriers et l’écrivain-héros est parti sans laisser d’héritier direct, et sans testament. En 1947, un accord pour le partage des droits d’auteur est trouvé entre la famille de Saint-Exupéry et son épouse, Consuelo.

Mais lorsque celle-ci décède en 1979, elle désigne comme légataire universel son secrétaire, José Martinez-Fructuoso. Les deux camps, d’une part celui de la famille d’Agay, c’est-à-dire les descendants de Gabrielle, la soeur cadette d’Antoine de Saint-Exupéry, et d’autre part la famille Martinez-Fructuoso, se disputeront au cours de plusieurs procès pour la répartition des revenus du Petit Prince. En 1989, les quatre neveux de l’écrivain fondent la Société civile pour l’oeuvre et la mémoire d’Antoine de Saint Exupéry, qui gère les droits et l’oeuvre de Saint-Ex et délivre les licences.

François d'Agay, un des quatre neveux de l'auteur qui ont fondé la Société civile pour l'oeuvre et la mémoire d'Antoine de Saint Exupéry.
François d’Agay, un des quatre neveux de l’auteur qui ont fondé la Société civile pour l’oeuvre et la mémoire d’Antoine de Saint Exupéry.© BELGA IMAGE

1993-2021 Produits dérivés

Avec une avidité contraire aux valeurs de l’oeuvre même (l’épisode du businessman, qui passe son temps à compter les étoiles qu’il possède), la succession Saint Exupéry-d’Agay a depuis lors déposé une cinquantaine de marques, protégeant aussi bien le texte que les dessins du Petit Prince. Les aquarelles de Saint-Exupéry ont été reproduites sur des milliers de produits dérivés développés à partir de 1993. Montres, figurines, vaisselle, sacs et cartables, parapluies, papeterie, linge de lit, peluches, boîtes à musique, gourdes et aujourd’hui masques anti-Covid… contribuent à faire rayonner l’imagerie aux tons pastel, remplie d’étoiles, de baobabs, de roses et de renards aux longues oreilles. Le Petit Prince a même son propre magasin, dans le VIe arrondissement parisien, et sa boutique en ligne.

Seul hic dans l’exploitation du blondinet aux yeux sans couleur qui figura même sur le billet de 50 francs français: l’ouvrage est tombé dans le domaine public le 1er janvier 2015. Partout? Non! En France, grâce aux prorogations de guerre instaurées pour compenser le manque à gagner des ayants droit et étant donné que Saint-Exupéry est mort pour la France, ce ne sera le cas qu’en 2032. A partir de ce moment, Le Petit Prince appartiendra, vraiment, à tous.

Le Petit Prince : à l’abbaye de Villers-la-Ville, du 13 juillet au 8 août.

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